“Ressenti”/”Sensation”

“Le ressenti” : Au Québec, en hiver, on nous la jouait comme ceci: Monsieur ou Madame Météo annonçait, disons, -15°C. Et s’empressait d’ajouter qu’avec le “facteur éolien”, “le ressenti” serait de -22°. Ou bien le -22° serait “ressenti” comme frôlant le -30°. (A compter de -50° dans le grand nord, on ne parlait plus de “ressenti” mais, les cils chargés de givre et les poils de nez aussi, on se félicitait de la mort des microbes, causes de grippes.)

Ici, on entend: “Ils disent 37°? Non, mais arrête ! Sur l’asphalte devant chez moi ? On frôle le 42, au moins.” (À 38°, nous voilà déjà à un “ressenti” de 45°, minimum.)

Bref, là-bas, il faisait froid, et ici, il fait chaud. Dans les deux cas, le commentaire d’Epikhodov dans La Cerisaie s’applique: “Je ne peux pas approuver notre climat…Je ne peux pas. Notre climat est inapte à favoriser l’adéquat.” *

Maintenant, pour faire comprendre le sens commun aux actionnaires de Total et autres frigorifiés de la coucourde…

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Les deux commentaires les plus stupides issues du Kremlin hier:

celui de Dmitri Medvedev s’exprimant comme un petit caïd de cour d’école: les français étant “des mangeurs de grenouilles”, les allemands, des “mangeurs de saucisse au foie”, et les italiens des “mangeurs de spaghetti”. Et tous voués au géhennes, il va sans dire. Question ressenti, on perçoit toute la finesse de l’analyse et de la stratégie du kremlin. Qui se ressemble, et cetera.

et celui du secrétaire de presse de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, enjoignant les alliés de ne pas fournir d’autres armes à l’Ukraine, ce qui ne ferait qu’abîmer davantage le pays, dit-il. La Russie se réservant le droit de tout démolir afin d’avoir l’exclusivité des contrats de reconstruction, apparemment. Pour ce qui est des morts, ils ne comptent pas; quant aux vivants, une fois détenteurs du passeport russe obligatoire, ils sont automatiquement “dé-nazifiés”.

Vous m’excuserez, messieurs, mais entre brutes patentés et génie, question “grandeur de la Russie”, je vote Tchekhov, indubitablement.

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Hier, deux nouveaux arrivants chez les enfants imaginaires :

Mathieu est dans le salon. Il joue avec son camion. Maman a dit « je monte chez la voisine, je reviens tout de suite. » Mathieu promène son camion sous les pattes des fauteuils. Il fait vroum-vroum. Dehors, un camion fait pimponpimponpimpon.

Mathieu va à la fenêtre. En face, la maison fait de la fumée. Dans la rue, des hommes sortent de longues cordes. « Des pompiers! » dit Mathieu et il trépigne un peu d’excitation.

La maison en face est aussi haute que la maison de Mathieu. Il habite au 4e étage et juste en face de lui, il y a une fenêtre ouverte, il en sort de la fumée et un petit chat qui s’agrippe sur le petit rebord et qui regarde Mathieu.

À ce moment là, maman revient. Elle court jusqu’à la fenêtre et entraîne Mathieu vers la cuisine. « Ah mon dieu, ah mon dieu, » dit-elle.

« Y petit chat » dit Mathieu.

Maman n’écoute pas; elle répète « ah mon dieu, ah mon dieu. »

Mathieu, 3 ans.

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Elle vous dit quoi, la petite Angèle?

1927. Elle a dix ans. C’est son papa qui fait la photo avec son nouvel appareil. Sa mère est en arrière-plan qui tient un parasol.  On l’a assise de force sur les genoux d’un copain de son papa. Un deuxième copain, pipe à la bouche, lui tient les mollets. Le troisième et dernier a la main posée sur la bottine du pied gauche de la petite Angèle. Il fait chaud. Deux des copains sont en bras de chemise. Tous portent un canotier. Celui de la petite Angèle masque le visage du copain sur lequel elle est assise. Elle fusille son père du regard.

  Soixante-dix neuf ans plus tard, elle lui en veut encore. Raison pour laquelle la photo, encadrée, trône dans le salon, au cas où il viendrait à la petite Angèle d’oublier la pureté de la rancoeur ressenti, ce. jour-là.

Angèle, 85 ans (au calendrier seulement).

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C’était avant l’arrivée des livres commandés aux éditions Mesures. La Russie l’été de Kari Unksova traduite par André Markowicz** ne pouvait pas tomber plus à pic; une édition bilingue, comme je les aime. Avec plongées en parallèle dans Vigile de décembre de Françoise Morvan***.

*Anton Tchekhov, La Cerisaie, traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, Babel, Actes-Sud 2002

**Kari Unksova, La Russie l’été, traduit du russe par André Markowicz, éditions Mesures, 2021

***Françoise Morvan, Vigile de décembre, éditions Mesures, 2019

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“The sensation”: In Québec in wintertime, the game was played thusly: Monsieur or Madame Weather Report would announce, say, -15°C. And hasten to add that with the “wind factor” worked into the equation, “the sensation” would be similar to -22°. Or the -22° would be felt as nearing -30°. (Once you reached -50° in the far north, there was no more talk of “sensation” but everyone, eyelashes covered in frost and nose hairs too, commented favorably on the cold killing flu-causing germs.)

Here,the talk goes like this: “Theyre saying 37°? Oh, stop it! On the pavement in front of my place? We’re nearing 42° at the very least.” (At 38°, we’re already with a “sensation” of 45°, minimum.)

In other words, over there, we were cold, and over here, we’re hot. In both cases, the comment by Epikhodov in Tchekov’s The Cherry Orchard applies: “I cannot approve of our climate…I cannot. Our climate is incapable of favoring the adequate.”

As for landing some common sense in Total’s shareholders with their ice-block jugheads, and other like minds…

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The two most idiotic comments put forth by the Kremlin yesterday:

that of Dmitri Medvedev, expressing himself with all the subtlety of a schoolyard bully: the French being “frog eaters”, the Germans “eaters of liverwurst” and the Italians, “spaghetti eaters”. All doomed and headed toward Gehenna, of course. One ‘senses’ all the refinement in the analysis and the strategy. Birds of a feather, etc.

and that of Vladimir Putin’s press secretary, Dmitri Peskov, enjoining the allies not to provide more weapons to Ukraine, since this would only damage the country further. Russia wishing to reserve the right to demolish its neighboring country at will so as to have exclusive access to the reconstruction contracts, apparently. As for the humans, the dead don’t count and with a mandatory Russian passport, the living are instantly “de-nazified”.

You’ll excuse me, gentlemen, but between patented brutes and genius, when it comes to “Russia’s greatness”, my vote goes to Tchekov, unmistakably.

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Two new arrivals in the imaginary children yesterday:

Mathieu is in the living room. He’s playing with his truck. Mommy said “I’m going upstairs to the neighbor, I’ll be right back.” Mathieu drives his truck under the chair legs. He goes ‘vroom-vroom’. Outside, a truck goes pimpon pimpon.

Mathieu goes to the window. The house in front of him is smoking. In the street, men pull out long ropes. “Firefighters!” Mathieu says and he stamps his feet a bit with delight.

The other house is as high as Mathieu’s house. He lives on the 4th floor and right in front of him, smoke comes out of an open window and a kitten also who clings to the ledge and looks at Mathieu.

Right at that moment, mommy comes back. She runs to the window and pulls Mathieu to the kitchen. “Oh my god, oh my god,” she says.

« a kitten there » says Mathieu.

Mommy isn’t listening; she repeats « oh my god, oh my god.”

Mathieu, 3

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And what is little Angela saying?

1927. She is ten years old. Her daddy took the photo with his new camera. Her mother is in the background holding a parasol. Little Angela was forced onto the lap of one of daddy’s buddies. A second buddy, pipe in mouth, holds her calves. The third and last one has a hand on the boot on little Angela’s left foot. It’s a hot day. Two of the buddies are in shirt sleeves. All wear a straw hat. Angela’s masks the face of the buddy on whose lap she sits. Daggers shoot out of her eyes as she glares at her father.

 Seventy-nine years later, she’s still angry at him. This being the reason why the framed photo is enthroned in the living room, just in case little Angela should ever forget the purity of the resentment she experienced on that day.

Angela, 85 years old (calendar-wise only)

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This was before the arrival of my book order from éditions Mesures. La Russie l’été by Kari Unksova translated by André Markowicz** could not have arrived at a better moment; a bilingual edition, the way I like them. With a parallel exploration in Vigile de décembre by Françoise Morvan***.

*Anton Tchekhov, La Cerisaie, traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, Babel, Actes-Sud 2002

**Kari Unksova, La Russie l’été, traduit du russe par André Markowicz, éditions Mesures, 2021

***Françoise Morvan, Vigile de décembre, éditions Mesures, 2019

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