
Nous baignons dans un monde de concessions, de compromis, d’évitements, d’évasions et de dénis. À la cérémonie des “voeux” saluant la ré-élection du président de la République, au premier plan se trouvait Nicolas Sarkozy, inculpé pour “association de malfaiteurs” pour le financement libyen de sa propre campagne en 2007, en plus de deux autres “affaires”. (Et qu’on ne s’étonne surtout pas de l’empressement dont il a fait montre lorsqu’il s’est agi de bombarder Khadafi pour le faire disparaître.)
*
C’est peut-être le premier pas, et le plus fondamental: accepter de reconnaître que la monstruosité existe, au lieu de se perdre dans le charabia des “impensable, impossible, indicible, insupportable…” qui n’est rien d’autre qu’un morceau de carton au-dessus du cerveau, morceau de carton supposé représenter une protection solide contre le mal. Pendant que les monstres, eux, n’ont aucun souci à penser, supporter, dire et déclencher les horreurs parce qu’eux se disent que c’est tout à fait possible, d’autant que les “autres” (nous) sont plongés dans leurs “impensable….”et cetera.
Au réveil, ce matin: le premier article en ligne est celui du Guardian concernant le projet du Kremlin de mettre en scène un “second Nuremberg” à la sauce des procès staliniens. Les accusés: les “nazis” ukrainiens, qui d’autres ?
Pendant ce temps, certains et certaines se permettent de dire: n’exaggérons rien, et puis, la guerre a toujours existé, bla-bla-bla. (Soit dit en passant, ce sont les mêmes qui se font un drame de ne pas trouver d’huile de tournesol au super-marché.)
*
Hier soir, au moment d’éteindre l’ordi, les journaux racontaient ce qui suit:
Le premier ministre britannique se comparait à Winston Churchill qui appréciait l’alcool, lui aussi. Et tant qu’à être dans la déconstruction du sens, il révisait le préambule au code de conduite des parlementaires pour en retirer les références à “honesty, integrity, transparency and accountability” (l’honnêteté, l’intégrité, la transparence et la responsabilité). C’est vrai, quoi, on n’est pas à la petite école, que diable.
Parlant de petite école, le Sénateur texan Ted Cruz s’énervait très très fort lorsqu’un journaliste lui parlait de contrôle des armes à feu. “Tout de suite à politiser la question,” disait-il et, devant l’insistance du journaliste, il persistait dans le déni du caractère politique de toute décision se rapportant à la restriction des droits des citoyens respectueux de la loi à se balader avec des fusils d’assaut. De tous les sénateurs républicains, il est celui étant le plus financé par le National Rifle Association (NRA) dont il adressera l’assemblée ce weekend. Le thème cette année, il ne faudrait pas s’en étonner: éviter de politiser la question du port d’armes aux Etats-Unis, droit sacré enchâssé dans la constitution en 1791, à l’ère du mousquet et avant qu’il y ai une NRA s’enrichissant sur les massacres d’écoliers.
Ukraine: pilonner, assassiner, déporter les survivants, les accuser des crimes qu’on commet soi-même. Ça s’appelle un génocide mais à cela aussi, le monde s’habitue, apparemment quand ça ne se passe pas dans leur cour. (Après tout, la guerre existe depuis la nuit des temps, bla-bla bla-bla bla-bla.)
Turquie: pilonner, tuer, envahir des terres syriennes pour y renvoyer les syriens s’étant réfugiés en Turquie (et noyer la population kurde dans un nouvel afflux de déplacés). Ça provoque quelques petits râclements de gorge discrets dans les chancelleries occidentales, mais on ne peut pas être à la salle et au fourneau en même temps, n’est-ce pas ? Les kurdes, les kurdes, on n’a pas que ça à penser.
Et ainsi de suite. Il y a l’Afrique aussi, et l’Asie. Je crois que c’est Imre Kertesz – un survivant des camps de concentration, ça dit encore quelque chose à quelqu’un ?- qui disait qu’il n’y a rien “d’indicible ” de ce qui a été fait. Juste le refus d’appeler les choses par leur nom, parce qu’alors, ben, c’est bête, mais il faut agir.
(Et pas juste avec ce petit bout de carton au-dessus de la tête, et le doigt sur les lèvres et les instructions à regarder ailleurs puisque c’est ainsi que les monstres croissent et prospèrent au vu et au su de tous).
*
We are bathed in a world of concessions, compromises, avoidances, evasions and denials. At the “greetings” ceremony following the President’s re-election, in the front row stood one Nicolas Sarkozy, charged with conspiracy in the matter of the Libyan financing of his own presidential campaign in 2007, along with two other pending penal matters. (And one should really not be surprised by his haste to bomb Khadafi out of existence.)
*
Perhaps it’s the first step, the most basic: accepting to recognize that monstrosity exists, instead of losing one’s self in the gibberish of “unthinkable, impossible, indescribable, unbearable”, that provides nothing other than a cardboard flap over the brain, a cardboard flap claiming to be solid protection against evil. While the monsters have no problem with thinking, supporting, saying and setting off horrors because they tell themselves it is entirely possible to do so, especially since the “others” (us) are deep into their “unthinkable…etc).
Upon waking this morning: the first article to pop up on the screen was Kremlin mulls Nuremberg-style trials based on second world war tribunals, in other words Stalinist-style show trials. The accused: the Ukrainian “nazis”, who else?
While this is going on, some have the gall to say: let’s not exaggerate anything, besides, war has always existed, yada-yada-yada. (In passing, these are the same people who raise a stink because there’s no sunflower seed oil available at the supermarket.)
*
When I shut down the computer last night, the news had the following to say:
Great Britain’s Prime Minister was comparing himself to Winston Churchill who also appreciated a toddy. And while he was at it, he rewrote the foreword to the Parliamentarians’ code of conduct “removing all references to honesty, integrity, transparency and accountability.” I mean, really, we’re not in grade school here.
Speaking of grade schools, Texas Senator Ted Cruz became very very annoyed when a journalist talked to him about weapon control. “Right away, politicizing the issue,” he griped and, seeing the journalist’s insistence he persisted in denying any political aspect to decisions of restricting access to law-abiding citizens strolling about with assault rifles. Of all the American Senators, he’s the one receiving the most financing from the National Rifle Association (NRA) whose assembly he will be addressing this weekend. No surprise in learning what the theme will be this year: avoiding the politicizing of the matter of weapons control in the USA, that sacred right adopted in the Constitution in 1791 when weapons consisted of muskets, and there was no NRA cashing in on the massacres of schoolchildren.
Ukraine: pound, murder, deport survivors, accuse them of the crimes you are committing yourself. It’s called a genocide but, apparently, that’s something else folks get used to when it’s not in their own back yard. (After all, war has existed since the dawning of the ages yada-yada yada-yada yada-yada).
Turkey: pound, kill, invade Syrian territory to send back Syrian refugees sheltering in Turkey (and use the opportunity to drown the Kurdish population with a new influx of displaced persons.) This raises a few discrete hems and haws in Western chancelleries, but you can’t be in the dining hall and the kitchen at the same time, can you? Kurds, Kurds, we don’t have only them to think about.
And so on. There’s Africa too, of course, and Asia. It was Imre Kertesz I think – a concentration camp survivor, anyone remember those ? – who said there is no such thing as the “unsayable” when something has been done. There’s only the refusal to call it by its rightful name because then, what a hassle, you have to do something about it.)
(and not just that little bit of cardboard, held above the head, with a finger pressed against the lips and instructions look the other way, since that is how monsters thrive and prosper in full view of everyone.)