
Bon. Hier soir, avant de m’endormir, j’ai lu le petit livre de Günther Anders chez Allia, intitulé “Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse.” * J’en retiens tout particulièrement les phrases suivantes: “...l’industrie ne produit pas des armes pour les guerres, mais provoque des guerres pour les armes. Qu’elle a besoin de la guerre pour s’assurer que l’on utilise ses produits, qu’elle ne peut pas “vivre sans tuer”, que l’usure des armes est nécessaire pour que la production continue. Les armes sont des marchandises idéales… car ce sont des produits qui, tout comme les biens de consommation, ne servent qu’une seule fois. Vus sous cet angle, les munitions et les petits pains sont des produits de même nature.” *
Et, du coup, je me suis mise à penser au personnage qui s’appelle ‘l’invisible’ dans ce que j’ai commencé à écrire à la fin d’octobre dernier. Celle qui se rappelle une comptine en allemand incluant le passage “Will ich in mein Küchel gehn, Will mein Süpplein Hochen; Steht ein bucklicht Männlein da; Hat mein Töpflein brochen” – si je veux aller dans ma cuisine me préparer une petite soupe, un petit bossu est là qui m’arrachera mon pot.
Il faut dire aussi que juste avant, j’avais lu un petit rapport des élucubrations de la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, expliquant aux vieilles souffrant d’addiction télévisuelle en Russie (nous avons les mêmes ici), comment le fascisme des ukrainiens était tel qu’ils refusaient l’inclusion de leur recette pour le borscht dans un livre de cuisine. Eh oui même les pauvres betteraves – sans parler de la lettre de l’alphabet qui rappelait surtout Zorro jusqu’à très récemment – se retrouvent abaissées au service des inepties mortelles du Kremlin.
Bref, je me suis souvenue de “l’invisible” – et ceci, peut-être aussi sur l’insistance d’un(e) lecteur/lectrice de ce blog me ramenant par deux fois au chapitre 19 du Marcovaldo d’Italo Calvino – j’ai rouvert le texte dans lequel ‘l’invisible’ apparaît, pour ainsi dire – et peut-être sur les autres habitants de ce monde fictif qui évoluent dans ma tête. Vraiment, ça sera mieux que de me morfondre à la pensée d’une Marine Le Pen beuglant le tube de Nicole Croisille ‘Feeemmmeuh, Feeeeeeemmmmmeuhhhh!” sur le parvis de l’Elysée (grâce à un Hooooommmmmeuh au porte-feuille bien garni finançant sa campagne et ses appuis).
*Günther Anders, Si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse, traduit de l’allemand par Christophe David, éditions Allia, 2022
*
Et puis, tenez, un petit extrait – non pas de la rencontre de Maria Damcheva avec “l’Invisible de l’appartement 24”, mais des débuts de sa rencontre avec la pharmacienne, Madeleine Mouton, 24 quai des consuls, appartement 7:
À peine avais-je jeté un regard distrait sur le nom épinglé sur sa blouse que la pharmacienne me dit :
« Et oui, les blagues au sujet de mon nom de famille, je les entends depuis la maternelle, alors, merci, passons à autre chose, voulez-vous ? Que puis-je faire pour vous ? »
« Je…ah oui, » dis-je en regardant le nom plus attentivement, « je n’avais pas vraiment remarqué. Je suis là pour un test covid, mon employeur l’exige. »
Elle sortit une feuille de papier. « Je peux vous fixer un rendez-vous dans deux jours. 10h45. Votre nom ? Numéro de téléphone ? »
Chaleureuse comme tout, la Mouton. Je fournis les informations demandées.
Elle me lança un regard soupçonneux. « C’est votre première visite ici. »
« Je suis nouvellement arrivée. J’habite à côté, rue des Arcades. »
« Ah bon ? Je croyais que tout était loué dans le secteur. »
« Je suis en sous-location. »
« Ah, c’est ça. Sans indiscrétion, vous n’êtes pas au 34, par hasard ? »
« Euh…oui. En quoi… »
« Voilà. Chez les Haré Krishna, » elle eut un sourire entendu. « Remarquez, le yoga, c’est très bien, ça n’a rien à voir avec la religion. Ils étaient partis pour quelques mois, mais avec le confinement, je parie qu’ils en ont pour un moment là-bas. En Malaisie ou… »
« En Thaïlande. »
« En Thaïlande, oui. Je ne suis pas fouineuse de nature, n’allez pas croire, mais c’est un petit couple tellement peu typique dans notre région…Leur intérieur vous plaît ? »
J’eus un rire gêné. « Ecoutez…oui, il me convient très bien. »
« Ah, vous êtes haré Krishna aussi. »
« Pas du tout, madame. Nous disons donc après-demain à 10h45. »
Son visage se referma comme une huître titillée par le jus de citron.
Etonnamment, deux jours plus tard, après le test, elle m’invita à prendre le thé chez elle en fin de journée.
*
All right. Last night before going to sleep, I read a small book by Günther Anders, published by Allia and the title of which translates in English as “And if I’m desperate, what am I supposed to do about it?”. From which I particularly note the following sentences: “...industry does not produce weapons for war, rather, it provokes wars for the weapons. It needs war to insure the use of its products, it cannot “live without killing”, the obsolescence of the weapons being required so that production will continue. Weapons are ideal merchandise…because, like other consumer goods, they can only be used once. Seen from this perspectives, weapons and bread rolls are products sharing the same nature.”
And I suddenly started thinking about a character known as “the invisible one” in something I started writing last October. She is the one who remembers a German nursery rhyme including the passage “Will ich in mein Küchel gehn, Will mein Süpplein Hochen; Steht ein bucklicht Männlein da; Hat mein Töpflein brochen” – if I go to my kitchen to make myself a little soup, the little hunchback will be there and he will break my pot.
I should mention that, just before reading Anders, I had read a stupendously stupid bit by the spokeswoman for Russia’s Ministry of Foreign Affairs. Clearly, she was addressing these words to brain-addled old women addicted to television (we have the same kind of addled ones over here), explaining how Ukrainian fascism was such that they even refused to share their recipe for borscht in a cookbook. Yes, even the lowly beet – not to mention the letter from an alphabet which used to serve as a signal for Zorro – dragged down to serve the deadly stupidities dispensed by the Kremlin.
In short, I thought of “the invisible one” – and perhaps this was also because of the insistence of an anonymous blog reader reminding me twice of chapter 19 in Italo Calvino’s Marcovaldo – at any rate, I re-opened the text in which the “invisible one” appears, so to speak – and perhaps also on the other inhabitants of the fictional worlds in my head. Truly, paying some attention to them today would be better than obsessing over the sordid thought of Marine Le Pen bellowing on the steps of l’Elysée, a song from the seventies by Nicole Croisille all about feeling like such a WWWWWooooommmmmaaaannnn (all thanks to a MMMMaaaannnn…with a fat check book paying for her campaign and her endorsements.)