je poursuis sur ce que je disais hier/I continue on what I was saying yesterday

Au sujet des appels au meurtre, autorisés sur Facebook et Instagram, “parce qu’il y a la guerre.”

Ou plutôt je reprends ici les paroles du philosophe croate Srecko Horvat. L’article “Seul l’impossible peut encore nous sauver” est disponible sur Médiapart, mais comme il faut y être abonné, je me permets d’en reprendre un large extrait ici, pour ceux et celles qui n’y auraient pas accès:

« Les mots peuvent agir comme des petites doses de poison » dit Viktor Klemperer dans son étude majeure Lingua Tertii Imperii, ajoutant qu’elles sont avalées imprudemment, apparemment sans effet, mais, au bout d’un certain temps, une réaction toxique survient.

Lorsque Poutine parle de « dé-nazification » de l’Ukraine, il utilise délibérément la langue comme moyen de guerre, assimilant les Ukrainiens aux nazis. Mais de la même manière, quand nous lisons les gros titres qui commencent par « Les Russes bombardent… » nous absorbons sans le savoir cette identification dangereuse du gouvernement de Poutine et du peuple russe. Or, des milliers de Russes sont déjà en prison pour s’être opposés à la politique de Poutine, des millions de Russes souffriront à cause des sanctions, ainsi que les Russes qui se trouvent à l’étranger et qui sont déjà victimes d’attaques.

Nous ne devons jamais assimiler les criminels de guerre à l’ensemble d’une nation. Quand on voit que des artistes et des scientifiques russes ont été empêchés de travailler en Europe, que Dostoïevski est ’radié’ des programmes scolaires*, nous sommes dans une situation dangereuse, une sorte de déjà-vu des années 1990 qui rappelle notre guerre…Toute haine fondée sur la « mauvaise nationalité » doit être condamnée. Si des extraterrestres venaient sur notre planète et lisaient la poésie de Maïakovski, lisaient Dostoïevski et regardaient les films de Tarkovski, ils concluraient que l’humanité peut se dire heureuse que de tels géants aient vécu sur cette étrange planète. Pour que l’humanité ait un avenir, il est nécessaire de sortir de l’étroite alliance des nationalismes et des Etats-nations. » Srecko Horvat

*après une recherche rapide, je ne trouve aucune information à ce sujet. Ce qui ne veut pas dire que nous n’en arriverons pas là.

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Vladimir Poutine est né à St-Petersbourg (alors Leningrad) en 1952. Il n’a jamais connu son frère aîné, mort à l’âge de 5 ans durant la famine qui a décimé la ville pendant la 2e guerre mondiale. Son papa travaillait pour la KGB (ancêtre de la FSB actuelle); noble institution dont le fils atteignit le rang de lieutenant colonel avant de poursuivre sa carrière en politique. De toute évidence, il ne suffit pas de perdre son frère à une famine imposée par un ennemi pour se dire ‘plus jamais ça.’ Dans son cas, ce serait plutôt le contraire.

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Ossip Mandelstam est né en 1891 à Varsovie. Il est mort aux environs du 28 décembre 1938 dans un camp de transit près de Vladivostok. Il y aurait beaucoup à choisir dans ses poèmes que j’aime, mais ce matin, je retiens celui-ci que je n’aime pas, celui qui le fit condamné pour avoir osé ce portrait de Staline. En hommage aux Russes, aux Ukrainiens et à tous les autres prisonniers des tourbillons de la guerre :

Nous vivons sans sentir le pays sous nos pieds,

A dix pas notre voix ne stentend, étouffée.

Quelques mots, et l’on a le farouche

Montagnard du Kremlin à la bouche.

Se gros doigts sont pareils à des vers gros et gras,

Et son verbe est certain, assené comme un poids.

Des cafards, ses moustaches qui rient,

Et le cuir de ses bottes qui brillent !

Un ramas de caïds au cou mince l’entoure,

De sous-hommes il se sert et se fait une cour ;

Les uns sifflent, ou beuglent ou grognent,

Mais lui seul il tutoie, il ordonne.

Tel des fers il vous forge décret sur décret :

En plein front ! Dans les yeux ! Au bas-ventre ! En plein nez !

L’échafaud, chaque fois, c’est sa fête,

Et le large poitrail de l’Ossète

Ossip Mandelstam 1933, traduction Michel Aucouturier

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Concerning the calls to murder, authorized on Facebook and Instagram, “because there’s a war on”.

Or rather, I’m translating here an excerpt of an article by the Croatian philosopher, Srecko Horvat. The full article Seul l’impossible peut encore nous sauver (Only the impossible can still save us) is available in French on Médiapart, but since you need to subscribe to it, I’m reproducing a significant excerpt for those who would not have access to it otherwise:

“Words can act as small doses of poison” says Viktor Klemperer in his major work Lingua tertii Imperii, adding that they are swallowed imprudently, apparently with no effect, but, after a while, a toxic reaction sets in

When Putin speaks of the “denazification” of Ukraine, he is deliberately using language as a war tool, assimilating the Ukrainians to nazis. But in the same fashion, when we read headlines beginning with “the Russians are bombing..”, we are unknowingly absorbing this dangerous identification of Putin’s government with the Russian people. Yet, thousands of Russians are already in prison because of their opposition to Putin’s policy, millions of Russians will suffer because of the sanctions, along with the Russian abroad who are already victims of attacks.

We must never assimilate an entire nation to war criminals. When one sees that Russian artists and scientists are kept from working in Europe, that Dostoyevsky was “banned” from some school programs*, we find ourselves in a dangerous situation, a kind of déjà-vu of the 1990s that brings our war to mind…All hatred based on “the wrong nationality” must be condemned. If extraterrestrial beings came to our planet and read the poetry of Mayakovski, read Dostoyevsky and watched Tarkovski’s films, they would come to the conclusion that humanity can consider itself happy that such giants lived on this strange planet. For humanity to have a future, we must escape from the narrow alliance of nationalisms and Nation-States.” Srecko Horvat.

*After a quick search, I find nothing on this specific topic. Which is not to say things will not come to this.

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Vladimir Putin was born in St-Petersburg (then Leningrad) in 1952. He never knew his older brother who died at age 5 during the famine that decimated the town during the 2nd World War. His father worked for the KGB (ancestor of the current FSB) from which noble enterprise Vladimir Putin graduated with the rank of lieutenant colonel before moving on to politics. Clearly, it’s not enough to lose a brother to a famine imposed by the enemy in order to tell yourself: never again. In his case, the opposite appears to be the case.

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Osip Mandelstam was born in Warsaw in 1891 and died on or around December 28 1938 in a transit camp near Vladivostok.

There would be much to choose among those poems of his I love, but this morning, I’m choosing one I don’t care for, the one that saw him sentenced for daring this portrait of Stalin. I dedicate it to both Ukrainians and Russians, and all others caught in the whirlwinds of war:

We live, deaf to the land beneath us,

Ten steps away no one hears our speeches,

But where there’s so much as half a conversation

The Kremlin’s mountaineer will get his mention.

His fingers are fat as grubs

And the words, final as lead weights, fall from his lips,

His cockroach whiskers leer

and his boot tops gleam.

Around him a rabble of thin-necked leaders –

Fawning half-men for him to play with.

They whinny, purr or whine

As he prates and points a finger,

One by one forging his laws, to be flung

Like horseshoes at the head, the eye or the groin.

And every killing is a treat

For the broad-chested Ossete.

Osip Mandelstam, 1933 (translator’s name not provided; quoted in Nadezhda Mandelstam’s Hope Against Hope.)

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