“il faut faire quelque chose”/”We have to do something”

Mais d’abord :

les robots sont à l’oeuvre : ce blog est lu par une poignée de gens; de ma part, ce peu de visibilité est voulu. Or, ce matin, je trouve dans les ‘indésirables’ un message posté sur l’article ‘ah, ça promet’, message comportant une adresse .ru déguisée sous un nom à consonance anglaise. Message rempli des compliments les plus extravagants concernant mes talents littéraires. Message supprimé d’emblée.

Mais si de tels pièges se retrouvent sur des domaines aussi peu suivis que le mien, je ne peux que conseiller la plus grande des prudences à tous et à toutes avant de cliquer sur un message, aussi sympa puisse-t-il paraître à première vue, sans vérifier sa provenance d’abord. Les robots, tout comme les virus, ne sont pas regardants sur la taille du sujet qu’ils sont programmés d’infiltrer. Que celui-ci soit le résultat d’une bonne intention ou de son contraire, il est toujours préférable de connaître l’identité de la personne qui nous contacte.

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Hôtel de ville pavoisé aux couleurs de l’Ukraine. Bien. Distribution de boutonnières (bouts de rubans jaune et bleu) à la soixantaine de personnes venues écouter le discours du maire. Bien. Discours du maire: bien, annonçant essentiellement que les initiatives d’aide seront coordonnées par l’association ou le conseil des maires de France, je ne me souviens plus très bien comment il se désigne lui-même. Je rencontre la personne qui assurera la coordination “une fois que les instructions nous parviendront”. D’accord. Je reste sidérée d’entendre tout le monde parler comme si l’aide consisterait d’envois de vivres et vêtements “là-bas” dans un “là-bas, là-bas”, comme si certains des plus d’un million deux cent mille réfugiés ne se retrouveraient pas “ici”, comme dans “ici même.”

Suivi de conversations un peu plus terre-à-terre. L’effet de sidération semble très prononcé, les mots qui reviennent le plus souvent: “Jamais je n’aurais cru, de nos jours…” Il va falloir faire avec la sidération; elle risque d’augmenter et de se transformer en diverses formes de pertes d’énergie – désespoir, panique, violence incontrôlée…

Reste à espérer que nous ne découvrirons pas le même niveau d’impréparation de l’Europe en matière de défense qu’elle a démontré dans la gestion de la pandémie. Et, si tel est le cas, d’éviter encore plus les pertes d’énergie mentionnées au paragraphe précédent.

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Cela dit, au sortir d’une longue conversation avec une amie hier, je lis le titre sur un journal: quelqu’un à Marseilles, sortant de son effroi et de sa sidération et se disant: “stop, il faut faire quelque chose.” Elle a bien raison, et elle est loin d’être la seule.

Notre avenir est incertain, cela ne fait pas le moindre doute, mais pour d’autres, l’avenir qu’ils s’étaient imaginés et pour lequel ils avaient planifié est déjà en miettes. Alors, oui, faire quelque chose – collectes de dons, de vêtements, identification de logements disponibles, de personnes prêtes à accueillir, à offrir des cours de français…Bref, tout le niveau ras-les-pâquerettes des réseaux d’entraide dont, heureusement, ce coin de pays a l’habitude – c’est l’avantage des villes désindustrialisées qui ont longtemps connu la nécessité et la pratique de la solidarité ouvrière.

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du côté de ma lecture d’Hannah Arendt (que je lis en anglais mais qui est disponible sous le titre Qu’est-ce que la politique?” en français aux éditions du Seuil*), j’en suis à méditer longuement le passage tout à fait génial où elle parle du lien fondamental qu’établissaient les Grecs anciens entre la parole et l’action. Le passage auquel je fais référence se lit : “…l’activité la plus importante pour la vie libre se déplace de l’action à la parole, de l’acte libre au mot libre.” J’ajouterais: et vice-versa, à notre époque., vu les ravages causés par un usage inconsidéré de la rhétorique.

Dans cette optique elle écrit que depuis Homère, les ancients grecs considéraient que ” …contre les coups du destin…l’homme ne peut certes pas se défendre, mais il peut leur faire face par la parole et leur répliquer. Et bien que cette réplique n’aide nullement ni à conjurer le malheur ni à attirer la chance, de telles paroles participent aux événements en tant que tels.”

En autant qu’ils évitent la tentation de se perdre en rhétorique vaine, comme ce qui se produit trop souvent dans des “réunions de coordination” créant trop souvent l’illusion que beaucoup beaucoup de mots sont l’équivalent de beaucoup beaucoup d’actions.

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Et donc, gérer le quotidien sans oublier d’y inclure les remous causés par les catastrophes dans un ‘là-bas’ pas si éloigné que ça “d’ici même”.

Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, traductions par Carole Widmaier, Muriel Frantz-Widmaier, pour l’allemand, et par Sylvie Taussig assisté de Cécile Nail pour l’anglais, Editions du Seuil 2014

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the robots are hard at work: this blog is read by a handful of people; its low visibility is by personal choice. Yet, this morning in the spam filter, posted against the column titled ‘ah, ça promet’, I find a message with a .ru address disguised under an innocuous-seeming email address with a English-sounding name. The message is replete with fulsome praise about my literary talent. I send it to trash immediately.

But if such traps appear on blogs with as low a readership as this one, I can only caution readers to exercise the greatest of care before clicking on a message, no matter how cool it may appear, without carefully checking the source information first. Just like viruses, robots are not particular about the size of the subjects they are targeted to infiltrate. And whether this one was launched from a good intent or the opposite, it’s always best to know who you’re dealing with before clicking on a link.

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City Hall is draped in Ukraine’s colors. Good. Distribution of posies (bits of blue and yellow ribbon) to the fity or sixty people who’ve come to hear the mayor’s speech. Good. Mayor’s speech: good, essentially saying that aid initiatives will be coordinated by the Association or Council of French Mayors, however they call themselves. I meet the person who will ensure local coordination “once she’s received the instructions”. OK. I’m stunned to hear everyone talking as if the aid would consist of sending clothes and foodstuffs ‘over there’ in an “over there, over there”, as if some of the over one million two hundred thousand refugees would not end up “here”, as in “here, right here”.

Followed by more down to earth conversations. The effect of stunned awe is very strong, the words that show up most being “I would never have thought, in our time…” We’ll have to deal with the awe: it’s liable to grow and to transform into various forms of energy loss – despair, panic, uncontrolled violence…

We can only hope that we won’t discover the same level of European preparedness in defence matters as we saw in the management of the pandemic. Should such prove to be the case, there will be even greater need to avoid the energy losses described in the preceding paragraph.

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That said,following a long conversation with a friend, I see a headline on a paper: someone in Marseilles, emerging from her awe and saying: “stop, we have to do something.” She is far from being alone.

Our future is uncertain, but for others, the future they imagined and planned for is already shattered. So, yes, doing something – collecting funds, clothing, identifying available housing, people ready to take in one or several people, offering French lessons…In short, all the bottom-dollar level of solidarity networks this corner of the country knows well – it’s the advantage of disindustrialized towns who have long known the necessity and practice of workers’ solidarity. So, yes of course, may the Mayors lead coordination efforts; this doesn’t mean word-of-mouth communications are to be neglected.

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The French in this text provides French readers for a source to Hannah Arendt’s The Promise of Politics* which I am reading in English. I’m currently pondering in depth the genius of her identification of the fundamental link ancient Greeks operated between words and deeds. In which section she writes “… the most important activity of a free life moves from action to speech, from free deeds to free words.

And vice-versa, might I add given the reckless uses made of rhetoric nowadays.

In this understanding of words and deeds, she writes that from Homer onward, the ancient Greeks considered that “Man cannot resist against the blows of fate…but he can resist them in speech and respond to them, and through the response changes cnothing…such words belong to the event as such…’

So long as they avoid the temptation of drifting into empty rhetoric such as that in “coordination meetings” where much talk often creates the illusion of many many fine deeds done.

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And so, on to other daily occupations, not omitting to include in them the turmoils caused by catastrophes in an ‘over there’ not so far removed from ‘right here’.

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