Au commencement était…/In the beginning was…

(au moment où j’écris ces lignes, les troupes d’assaut russes ont pénétré la périphérie de Kiev. Pour ce qui est de ma compréhension des analyses le moindrement sérieuses sur les enjeux, prière de vous référer soit à Médiapart ou, en anglais, au New Statesmen. À la blague, hier, je décrivais la position d’Erdogan à une copine de Kedistan comme celle de l’équilibriste sur une planchette à roulette posée sur un ballon libre de toute entrave et tentant de se tenir sur une main et jambes en l’air – il est membre de l’OTAN, client de la Russie et il a vendu des drones à l’Ukraine. Mais, à la réflexion, la posture en question s’applique de façon plus général, je crois. Et maintenant, retour à mon niveau de connaissance, sinon d’expertise.)

La phrase est de Gabriel Garcia Marquez et elle est jolie : “Le monde était si récent que beaucoup de choses n’avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt.

Mais, à mon avis, il n’y avait rien de nommé au commencement et il n’y avait que le geste, en fait. La grimace, les yeux écarquillés, le doigt indicateur, la main levée. Humer, écouter, sentir, grogner peut-être (sauf pour le petit dernier qui sifflait que s’en était une merveille.) Imiter des cris d’oiseaux, des feulements, des bruits de branches qui craquent…

et ainsi de suite jusqu’aux verbes, peut-être. Arrête ! Regarde ! Écoute ! (ce dernier, chuchoté avec un main relevée sans doute, pour l’emphase.)

Chez certains, pas de geste = pas de paroles non plus. On leur retient les mains, ils ne peuvent plus s’exprimer. Pourquoi en serait-il ainsi, à moins que les gestes n’aient été une élément crucial de communication, à une certaine époque ?

Le rapport avec ce que j’écris ? Curieux, sans doute, puisque l’écriture implique l’usage des mots. Mais de mots qui passent par les doigts, plutôt que par la bouche. Ecrire est un geste – dans un cahier ou sur un écran, peu importe. Personnellement, je me fie beaucoup aux cahiers en ce moment.

(autre commentaire concernant l’actualité : personnellement, j’ai l’impression que Vladimir Poutine prépare sa revanche depuis le moment, en 1989, où il était agent du KGB en Allemagne de l’Est, qu’il a vu le mur de Berlin s’est effondré, son monde, ses ambitions, ses projets se désagréger et les “camarades” fuir le naufrage comme des rats. Trente-trois ans à construire une revanche, ça n’est pas de trop quand on n’est pas porté sur l’impulsivité.

Pendant ce temps, outre les rapports émanant d’un peu partout concernant l’invasion en cours, The Guardian, comme les autres, poursuit ses activités régulières; dans son cas, avec une série intitulée You be the Judge – Jugez-en. Aujourd’hui, une femme s’interroge à savoir si c’est OK de garder le beurre dans le placard, comme le fait son copain. Ma réponse: chérie, si tu as la chance d’avoir un placard sur lequel personne n’ajuste ses tirs en ce moment, que ton copain y mette le beure si ça l’arrange, et toi, prends-en la moitié et fous-la au frigo si c’est le plus gros de tes soucis.)

oy vey, comme aurait dit mon ex belle-mère.

(L’illustration ? pas grand chose à voir, sauf pour la citation de Marquez et la carte de voeu rouge fabriquée par une jeune lituanienne à qui j’ai donné des cours de français l’année dernière. Elle est de retour à Vilnius et je pense beaucoup à elle, ces jours-ci.)

*

(As I write these lines, Russian assault troops have reached the outskirts of Kyiv. As pertains to my understanding of any serious analysis on the issue, please refer to Mediapart in French and to the New Statesman in English. Jokingly yesterday, I described Erdogan’s position in it all to a buddy at Kedistan as that of a circus artist, standing on a roller board set atop an untethered rubber ball and attempting to stand on one hand with his legs in the air – the man is in NATO, a client of Russia’s and has Ukraine as a customer for his drones. But, come to think of it, the description seems apt more generally speaking, I think. And now, back to my level of knowledge, one I wouldn’t describe as expertise.)

*

The sentence is by Gabriel Garcia Marquez and it is pretty: “The world was so recent that many things did not have a name and to mention them, one had to point at them with a finger.”

But in my opinion, in the beginning nothing had a name yet and everything was gesture, in fact. The grimace, the widened eyes, the pointing finger, the raised hand. Smelling, listening, feeling, growling maybe (except for the youngest who could whistle it was a marvel to hear him). Mimicking bird cries, growls, the sounds of breaking twigs…

and so on to the verbs, maybe. Stop! Look! Listen! (this last in a whisper with a raised hand, perhaps, for emphasis).

For some, no gestures = no words either. You hold down their hands, they can’t express themselves anymore. Why would that be, if hand signals had not been crucial elements, at some point?

The relationship with what I write? Odd, perhaps, since writing implies using words. But the words move through the fingers, not the mouth. Writing is a gesture – be it in a notebook or on a screen, that’s irrelevant. Personally, I’m quite reliant on the notebook at the moment.

(a further comment about the news: personally, I have the feeling Vladimir Putin has been preparing his revenge ever since as a KGB agent in Germany in 1989, he saw the collapse of the Berlin wall, his world, his ambitions, his projects seemingly brought to naught, and former ‘comrades’ fleeing like rats from a shipwreck. Thirty-three years to fine-tune a revenge, is not too long if one is not inclined to impulsivity.

Meanwhile, apart from ongoing reports on the situation as it evolves, The Guardian, like other media, pursues its regular activities; in its case with a series called You Be the Judge: in today’s episode, a woman asks if it’s OK for her boyfriend to keep the butter in the cupboard. To which I say: honey, if you happen to be lucky enough to own a cupboard no one is using for target practice, I say let him keep the damn butter in it if he so pleases, and you slice off half of it and stick it in the fridge, if that’s the biggest concern in your life.)

Oy vey as my former mother-in-law would have said.

(The illustration ? doesn’t have much to do with the topic, except for the quote by Marquez and the red card a young Lithuanian woman made for me, after I taught her French last year. She’s back in Vilnius now, and I think of her often.)

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