“Jeux”/”Games”

Sortir du sommeil et de ses rêves, ouvrir les yeux sur ses objets familiers; ouvrir le rideau sur la vue d’un paysage intact dans lequel seuls volent des oiseaux. Ces choses ‘banales’ prennent des allures de privilèges énormes et fragiles et je ne fais même pas référence ici – pas directement, en tout cas – aux “jeux” avec lancers de missiles “pas pour de vrai”, “jeux” se déroulant aux frontières de l’Ukraine.

Non, ma première pensée a été pour l’action coup de poing d’une unité d’élite des forces policières françaises à Calais hier: un raid, mis en scène comme pour débusquer de dangereux terroristes armées – hélicoptère posant des hommes armés sur le toit d’un immeuble désaffecté, portes enfoncées, pour s’emparer…d’une vingtaine de militants et de réfugiés occupant un espace vide et voué à la démolition. Après bouclage du quartier, gaz lacrymogène et arrestation d’une personne (relâchée après une vérification d’identité), on plie bagage, on ramène l’hélico à son point d’attache et bim-bam, vous avez vu ? Les réfugiés et les droits-de-l’hommistes, nous, on en fait qu’une bouchée.

Dans un petit recueil qu’écrivait Hannah Arendt au sujet de Walter Benjamin, elle le cite en début du chapitre qui s’intitule “Les sombres temps“. Suivant une autre citation, de Kafka, celle de Benjamin se lit : “Un naufragé, qui dérive sur une barque, en grimpant à l’extrémité du mât, qui est déjà fendu. Mais il a une chance de là-haut de donner un signal de détresse.” *

En France, à l’époque, les forces policières françaises, à la demande des autorités allemandes, bloquaient les sorties de territoire de réfugiés allemands voulus par les nazis. C’est en se retrouvant interdit de sortie sur la frontière espagnole que Benjamin choisit de se donner la mort.

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Hier, entre autres activités, j’ai traduit un article de Kedistan concernant le second acquittement d’Asli Erdogan (en attendant le 3e? Le 4e?). La version anglaise, à paraître.

Et j’écris. Lentement, c’est vrai. Mais j’ai ce privilège, vivant seule avec un minimum de distractions, de prendre le temps de laisser mûrir chaque phrase avant de la griffonner sur un bout de papier, puis de la transcrire sur la version en évolution à l’ ordinateur. La narratrice prend plus de relief avec chaque nouvelle rencontre. Le tout nécessitera beaucoup de travail lors de l’étape de la révision. Comme personne n’attend fiévreusement la livraison du manuscrit, j’ai ce luxe. Et mes “jeux” à moi ne font de tort à personne – une sorte de serment d’Hippocrate que j’applique à mon écriture.

*Hannah Arendt, Walter Benjamin 1892-1940, éditions Allia, 2015

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Emerging from sleep and one’s dreams, opening the eyes to familiar objects: pulling the curtain for a view on an intact landscape in which only birds are flying through the air. These ‘commonplace’ things take on the appearance of huge and fragile privileges, and I’m not even referring here – not directly anyway – to the “games” with launching of missiles “but not for real”, “games” taking place on Ukraine’s borders.

No, my first thought was for the spectacular action by an elite force of French police yesterday in Calais: a raid, scripted and played out as if to dislodge dangerous armed terrorists – helicopter depositing armed men on the roof of a disaffected building, doors rammed opened, in order to capture…some twenty activists and refugees occupying an empty space scheduled for demolition. After blocking access to the neighborhood, tear gas on demonstrators protesting against the action and arrest of one person (released after an identity check), roll out, bring the copter back to its parking space and whizz-bang, did you see? Us, we make one mouthful out of the refugees and human-rights-nutters.

In a small booklet written by Hannah Arendt about Walter Benjamin, she quotes the man at the opening of the second chapter titled “The Dark Times”. Following on another quote from Kafka, this one by Benjamin: “A castaway, adrift on a boat, by climbing to the top of the mast, which is already splintered. But from up there, he has a chance to send out a distress signal.”

In France, at the time, under German orders, the French police blocked the departure of German refugees wanted by the Nazis. Benjamin killed himself when he found himself blocked on the Spanish border.

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Yesterday, among other activities, I translated an article for Kedistan concerning Asli Erdogan’s second acquittal (while awaiting her 3rd? Her 4th?).

And I write. Slowly, this is true. But I have this privilege, since I live alone, with a minimum of distractions, so I can take the time to let each sentence ripen before jotting it down on a scrap of paper, prior to adding it to the evolving manuscript on the computer. The narrator takes on more depth with each of her new encounters. The whole thing will require a lot of work at revision time. I have that luxury, since no one is feverishly awaiting the delivery of my manuscript. And my “games” don’t harm anyone – a kind of personal Hippocratic oath I apply to writing.

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