
“Il était là, le vaste dragon couleur d’or rouge, profondément endormi; une vibration montait de ses mâchoires et de ses naseaux, et des volutes de fumée, mais ses feux se réduisaient pendant son sommeil. Sous lui, sous tous ses membres et son immense queue enroulée, et tout autour de lui s’étendant de tous côtés à travers des chambres invisibles, se trouvaient des piles de choses précieuses, de l’or ouvragé et de l’or brut, des joyaux et des bijoux, et de l’argent teinté par le rougeoiement de la lumière.”
Non, je ne suis pas le hobbit Bilbo, et je ne l’ai jamais été. Quelqu’ aventures que j’ai vécues, elles n’avaient rien de comparables à celles qu’on trouve dans Le hobbit de J.R. Tolkien.
Ce que je partage avec Bilbo – et je suis certaine, avec beaucoup, beaucoup d’autres formes de vie – c’est un amour et un besoin de confort personnel. Le confort en question peut prendre une variété de formes, dépendant des goûts personnels, mais en tant qu’envie, je crois qu’il est permis de dire qu’il n’existe pas une créature vivante qui n’aspire pas à une forme quelconque de tanière sécuritaire, douillette et protectrice, où se réfugier avec ses possessions les plus précieuses.
Et c’est bien en faisant vibrer cette corde, et en y ajoutant la crainte de perdre la précieuse tanière, que les maîtres du chaos opèrent leurs enchantements.
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Je ne sais pas si les propos tenus lors de la conférence sur La Défense et illustration des libertés académiques, mis en ligne gratuitement par Médiapart, sont disponibles sans abonnement au journal. J’ai commencé à les lire, hier soir. Suivent ici, en vrac, certains des propos que j’ai griffonnés, et où il est question du passage des majoritaires “de la condescendance à la colère” et où “…les savoirs qui étudient des logiques de production des discriminations sont accusés de les créer.”
Ces paroles d’un riche partisan de Bolsonaro, par exemple, déclarant que “la posture est plus importante que la connaissance“. Ou Bolsonaro lui-même pour qui il importe de “faire du chaos une méthode de gouvernement” et de “propulser la production systématique de l’ignorance.”
Les propos de Zeynep Gambetti de Turquie, sur comment “l’inversion de sens cesse de provoquer des dissonances cognitives” à tel point “que contester un président nommé par le président Erdogan dans la meilleure université de Turquie par un décret publié à minuit le 1er janvier sans aucune consultation avec les membres du corps professoral sont ‘fascistes’ ou non, ne suscite même pas de débat.”
Ou, comme dit Philippe Marlière: “Dans la France républicaine universaliste, il est illégitime d’étudier les inégalités de genre ou de race, car on proclame, a priori une égalité formelle pour toutes et tous…ce récit républicain recouvre en réalité un nationalisme hostile à la diversité et à l’égalité.”
“Résister. Exister. Créer” titre Mame-Fatou Niang de l’université Carnégie Mellon à Pittsburg.
Pendant que les maîtres du chaos se vautrent sans vergogne, et que tous les Bilbo mâles et femelles confondus, ne rêvent que d’un “monde respirable” selon les les mots magnifiques de Sonia Corrêa du Brésil, qui servent de titre ici, ce matin. Et doivent pour ce faire, d’une manière ou d’une autre, reconnaître le chaos social pour ce qu’il est vraiment – un enchantement, à dissiper, ne serait-ce que dans les réalités les plus tangibles les entourant… toutes, sans exceptions, dénuées du moindre dragon.
Les choses seraient déjà bien assez compliquées sans eux.
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“There he lay, a vast red-golden dragon, fast asleep; a thrumming came from his jaws and nostrils, and wisps of smoke, but his fires were low in slumber. Beneath him, under all his limbs and his huge coiled tail, and about him on all sides stretching away across the unseen floors, lay countless piles of precious things, gold wrought and unwrought, gems and jewels, and silver red-stained in the ruddy light.”*
Bilbo the hobbit, I am not and never was. Whatever adventures I have experienced do not compare to anything in J.R Tolkien’s The Hobbit. *
What I do share with Bilbo – and I’m sure with many, many other sentient beings – is a love and need of personal comfort. Said comfort can take many forms, depending on personal tastes but as a longing, I think it safe to say there’s not a creature alive who does not crave some form of safe, snug and secure lair with his or her very own most precious belongings.
And it’s precisely by striking that chord, and adding to it the fear of losing this lair, that the masters of chaos create their enchantments.
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I don’t know if the words spoken at the conference dealing with The Defense and Illustration of Academic Freedoms and published for free by Médiapart are available without a subscription to the online newspaper. I started reading them last night. I jotted some of them down in no particular order, where there was talk of the majority moving “from condescension to anger...” where “studies on the logic involved in producing discriminations were accused of creating them.”
These words by one of Bolsonaro’s wealthy supporters, for example: “The posture matters more than the knowledge.” Or Bolsonaro himself for whom “chaos must be seen a method of government” with a need to “propel the systematic production of ignorance.“
Words from Zeynep Gambetti in Turkey on how “the inversion of meaning stops producing cognitive dissonance” to the point where “contesting whether a president named by President Erdogan to the best university in Turkey through a decree published at midnight on January 1st without any consultation with the members of the teaching body is “fascist” or not does not even give rise to a debate.”
Or, as Philippe Marlière says: “In a France of universalistic republicanism, it is illegitimate to study inequalities of gender or of race, because there is an a priori proclamation of a formal equality for all…this republican story-telling covers in fact a nationalism hostile to diversity and equality.”
Resisting. Existing. Creating titles Mame-Fatou Niang of the Carnegie Mellon University in Pittsburg.
While the masters of chaos wallow shamelessly, and all Bilbos, whether male or female, dream of nothing other than “a breathable world“, to pick up on the magnificent words of Sonia Corrêa from Brazil I used as a title this morning. And must, in order to do so, one way or another, recognize the social chaos for what it is – an enchantment to be dispelled, if only from the most tangible realities around them, all of them, without exception, devoid of even the slightest of dragons.
Things would already be sufficiently complicated without them.
*J.R.R. Tolkien, The Hobbit, Harper Collins edition, 2017