
Ça pourrait être une fable, mais ce sont des faits réels. Et, de nos jours, dans les esprits, c’est une fable qui prévaut.
La fable qui prévaut, c’est celle de la façon dont les espagnols ont vaincu l’empire aztèque en 1519. S’il faut en croire les légendes, une armée de 1 000 espagnols a terrassé l’empire comme – je ne sais pas moi, Paul Muad’Dib a vaincu l’empereur dans Dune.
Pas du tout.
En fait, la victoire repose sur l’allégeance de 20 000 soldats de Tlaxcalteca, opposants farouches au joug aztèque. Malheureusement, ils choisirent les mauvais alliés, mais il est intéressant de savoir pourquoi et comment ils en arrivèrent à leur décision.
Car, comme le rapportent David Graeber et David Wengrow dans The Dawn of Everything, les habitants de Tlaxcalteca cultivaient “une éthique civique qui s’opposait à l’émergence de. leaders ambitieux …un contre-exemple aux principes de gouvernance des aztèques.” Eh oui, non seulement les principes démocratiques étaient-ils connus et appliqués bien avant que les européens n’en prennent connaissance, mais à Tlaxtalteca, on n’aspirait vraiment pas au pouvoir sur ses congénères parce que “loin d’être reconnus pour leur charisme personnel et leur pouvoir à vaincre leurs rivaux, les aspirants au conseil de Tlaxtalteca le faisaient dans un esprit de dénigrement – et même de honte d’eux-mêmes. Ils étaient tenus de se soumettre aux habitants de la ville. Afin de s’assurer que cette soumission n’était pas qu’une apparence, ... ils subissaient des épreuves…y compris des abus publics – considérés comme étant la récompense appropriée à l’ambition.”
Non, à Tlaxtalteca, un citoyen ne craignait pas l’emprisonnement à vie pour avoir révélé les crimes supposément commis “en son nom.”
Ça demeure tout de même une triste histoire. Parmi les solutions envisagées par le ‘conseil municipal’, l’une préconisait d’inviter les espagnols dans la ville pour les massacrer jusqu’au dernier. Au lieu de quoi, ils optèrent de s’allier à leur ennemi commun, les aztèques (malgré les avertissements que les espagnols se retourneraient ensuite contre eux.) Le reste est une histoire fabuleuse, c’est le cas de le dire, sur la supériorité “inévitable” des nouveaux arrivants du Vieux Monde.
Non, cela ne tend pas à prouver autre chose que le fait bien connu que les vainqueurs suppriment les vérités gênantes, et qu’il a existé beaucoup, beaucoup, beaucoup de formes diverses de gouvernance politique à travers les âges, n’en déplaise la fable actuelle d’une chute inévitable dans un sac sans fond d’un système politico-économique en plein délire.
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Avec juste une suggestion quand même, d’y aller mollo sur les “anxiolytiques”, combinés à des récits constants de catastrophes “inévitables”, à paralyser cerveaux et cervelets. (À distinguer des récits fictifs qui servent justement à faire autre chose que du malheur concret avec les impulsions violentes qui logent dans les profondeurs de l’esprit humain.)
(Illustration : extrait du conte russe Maria Morevna dans une édition illustrée par Ivan Bilibin, éditions Terra, Moscou 1992)
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It could be a fable, but the facts are real. And in the story as now told, another fable is what prevails.
The prevailing fable is the one on how the Spaniards vanquished the Aztec Empire in 1519.
According to the legends, an army. of 1 000 Spaniards destroyed the empire – just like let’s says, Paul Muad’Dib vanquished the emperor in Dune.
Not at all.
In fact, the victory rests on the allegiance of 20 000 soldiers from Tlaxcalteca, fierce opponents to the Aztec yoke. They chose the wrong allies, unfortunately, but it’s interesting to know why and how they reached their decision.
Because the inhabitants of Tlaxcalteca cultivated, in the words of Graeber and Wengrow* ” a civic ethos that worked against the emergence of ambitious leaders…a counter-example to Aztec principles of governance.” Yep, not only were democratic principles known and practiced long before Europeans became aware of them, in Tlaxcalteca you did not hanker for power over kith and kin, because ‘those who aspired to a role on the council of Tlaxcalteca , far from being expected to demonstrate personal charisma or the ability to outdo rivals, did so in a spirit of self-deprecation – even shame. They were required to subordinate themselves to the people of the city. To ensure that this subordination was no mere show, each was subject to trials…” including “public abuse – regarded as the proper reward of ambition”.
No, in Tlaxtalteca, a citizen would not have found himself subjected to lifelong imprisonment for revealing the crimes committed supposedly “in his name.”
The tale is a sad one, nonetheless. Among the options explored by ‘city council’ was that of inviting the Spaniards over and killing the whole lot once they were inside the city walls. Instead, they decided to side with them against their common enemy the Aztecs (despite warnings that the Spaniards would then turn against them.) The rest of the story is well known.
And no, this does not tend to prove anything other than the well-known fact that victors suppress embarrassing truths and that many, many, many other versions of political governance have existed over the ages, notwithstanding the current fable of our inevitable landing into the bottomless pouch of a political/economic system in full delirium.
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Still, with just a suggestion to go easy on the mind-numbing combinations of so-called anxiolytics mixed with a constant diet of brain and cerebellum-numbing fables of ‘inevitable’ catastrophes. (To be distinguished from fictitious tales the purpose of which is precisely to make something other than concrete occurrences out of violent impulses and urges in the recesses of the human mind.)
¨pp 355-357 in David Graeber and David Wengrow, The Dawn of Everything – A History of Humanity, Farrar, Straus and Giroux, 2021
(Illustration: Excerpt of the Russian tale Maria Morevna, illustrated by Ivan Bilibin, Terra Publishing, Moscow 1992)