
On ne peut pas parler d’hypocrisie, puisque l’hypocrite tente de mimer des sentiments ou des opinions qu’il ou elle n’a pas. Du cynisme, alors? Sous-jacent, indubitablement. Mais c’est la journaliste de Médiapart Caroline Fourteau qui les décrit le mieux, qu’elles soient britanniques ou françaises, ces poupées gonflables qui servent de “politiques” : il s’agit de “lâcheté en roue libre.”. Produit d’une ambition sans rapport avec les idéaux qu’ils ou elles prétendent servir, cette lâcheté les conduit à vaciller au gré des déplacements d’air provoqués par les marchands de haine. Résultat : la lâcheté fait boucle avec l’hypocrisie et le cynisme, et voilà pour une chaîne, une, formant la ronde d’un cercle vicieux.
Et ceci, malgré le fait que la pandémie a causé des pertes de main d’oeuvre partout, entraînant un besoin pressant de plus de main d’oeuvre – avec ou sans diplômes. Malheureusement, même le gros bon sens n’arrive pas à pénétrer la lâcheté. Alors, d’un côté, on prive des migrants de nourriture, on lacère leurs abris, on leur interdit le travail et on les précipite dans les bras des profiteurs de la misère humaine, et de l’autre on se plaint que, franchement, toutes ces embarcations fragiles qui coulent avec leur surcharge de vies humaines, ça fait malpropre, vraiment.
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Alors, entre mes propres écritures, à la main et à la dactylo – y compris l’envoi d’une longue lettre par la poste, porteuse de lueurs de vérités, de mon point de vue; à savoir si elles seront reçues comme telles, je ne sais pas – je lis Apeirogon*, maintenant en français aussi bien qu’en anglais, passant volontiers d’une version à l’autre.
Vers la toute fin de la traduction française, je lis ce qui suit :
“Bassam regagne sa voiture, éclairé par son unique phare. Encore une chose qu’il va falloir réparer.
Il s’appuie contre la portière et se glisse une fois de plus sur le siège, traînant sa mauvaise jambe après lui. Il prend son téléphone, l’allume et envoie un SMS à Rami : bien rentré, mon frère. Leur rituel simple, combien de milliers de fois maintenant ? …Le temps que le portail se soit complètement refermé, Rami lui a répondu, un simple émoticône, deux pouces en l’air et au-dessous : À demain. “
Une autre boucle, dans un cercle tout autre.
L’israélien Rami a perdu sa fille de treize ans lors d’un attentat dans les rues de Jérusalem où elle déambulait avec des amies. Dix ans plus tard, le palestinien Bassam a perdu sa fille de dix ans, abattue d’une balle en caoutchouc à la base du cerveau, par un soldat israélien. Elle venait de quitter un commerce où elle avait acheté des bonbons.
Alors, que personne ne vienne me dire que les réconciliations sont impossibles. Elles nécessitent le courage de faire face à sa propre lâcheté, et à celle des autres. Et si cela vous semble une tâche surhumaine, pensez au mantra dans Dune : “La peur tue l’esprit….J’affronterai ma peur. Je la laisserai passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur sa trajectoire. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.”
Non, pas rien que moi. Moi, et les autres qui en font autant – là où commence la boucle d’un autre type de cercle.
*Colum McCann, Apeirogon, traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude, 10/18, Belfond 2021
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You can’t speak of hypocrisy, since the hypocrite attempt to mimick sentiments or opinions he or she does not have. Cynicism, then? Underlying, undoubtedly. But journalist Caroline Fourteau at Médiapart describes them best: be they British or French, those inflatable dolls we call “politicians” display “freewheeling cowardice.” A product of ambition unrelated to the ideals they claim to serve, this cowardice leads them to sway according to the air displaced by merchants of hatred. As a result: the cowardice loops up with hypocrisy and cynicism, and you have a chain, one, combining into a vicious circle.
And this, despite the fact the pandemic has caused work shortages everywhere with a heavy need for more skilled – and unskilled – labor. But even plain common sense can’t break through to a coward. So, on the one side, you deprive migrants of food, you tear apart their shelters, you forbid them the right to work and you push them into the arms of those who profit from human misery, and on the other side, you complain because, really, all those fragile boats sinking overloaded with human lives are just so…so messy, honestly.
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So, in the midst of my own writing, in longhand and typewritten – including the sending of a long letter by snail mail, carrying glimmers of truths from my perspective, that may or may not be received as such – I read Apeirogon*, now in French as well as in English, moving at will from one version to the other.
Toward the very end, I read what follows:
“Bassam steps back towards the car through the light from the single headlight. Yet another thing that will have to be fixed.
He leans on the car door and swings himself into the seat once more, drags the bad leg in behind him. He picks up his phone, keys it alive and texts Rami: Home, brother. Their simple ritual, how many thousands of times now? …By the time the gate has clanked shut, Rami has replied, a simple emoji of a thumbs up and, beneath that, See you tomorrow.“
Another loop, in a totally different circle.
Rami the Israeli lost his thirteen year old daughter in a terror attack in the streets of Jerusalem where she was walking with friends. Ten years later, Bassam the Palestinian lost his ten year old daughter, felled by a rubber bullet to the base of the skull, shot by an Israeli soldier. She had just stepped out of a shop where she had bought some candy.
So let no one tell me reconciliations are impossible. They require the courage to face up to one’s own cowardice and that of others. And if that seems like a tall order, think of the mantra in Dune :
“Fear is the mind-killer…I will face my fear. I will permit it to pass over me and through me. And when it has gone past, I will turn the inner eye to see its path. Where the fear has gone there will be nothing. Only I will remain. “
No, not only I. I, and others who do the same. Where the loop begins of another kind of circle.
*Colum McCann, Apeirogon, Bloomsbury, Dublin, 2020