ah oui/oh yes

J’en étais à la page 7, et déjà, je savais qu’Apeirogon de Colum McCann était un livre dans lequel je reconnaîtrais un aspect personnel de mon univers. Je le lis dans la version originale, mais je sais que le livre est disponible en format poche dans une traduction française par Clément Baude (que je compte acquérir aussi). À lire, que vous pensiez connaître Israël et les territoires occupés, ou non. Pour moi, le souvenir de ces immenses vols d’oiseaux empruntant le corridor sud-nord-sud au-dessus de la région ainsi que des boulons et triangles de métal encore répandus sur la chaussée après un attentat meurtrier, demeurent parmi les éléments marquants et inoubliables de mon séjour de trois ans, il y a maintenant plus de quarante ans de cela.

Surtout, je ressens énormément d’admiration et de respect pour ce que McCann a réussi à produire en tant qu’écrivain. Je lis énormément mais il est rare que j’aie une telle réaction au travail d’un écrivain; dans ce cas-ci, j’ai l’impression qu’il a réussi le quasi-impossible de suturer son récit (et son style) avec la réalité.

Ce qui inclue un usage superbement maîtrisé de la digression – sorte d’exploration parallèle des champs ouverts par le passage d’une ligne ou d’un paragraphe dans ce qui a précédé. Une sorte d’apeirogon par écrit, pour ainsi dire. Ou un assemblage minutieux de pièces, à première vue sans rapport immédiat, les unes avec les autres.

En géométrie, Apeirogon est une forme ayant une nombre infini (mais dénombrable) d’angles. Infini. Mais dénombrable. Commencez à zéro, et poursuivez.Le point de vue de l’un. De l’autre. Ce qu’il suggère. À vol d’oiseau. À ras les barbelés. À l’intérieur d’une balle ‘non-létale’ en caoutchouc; les soldats britanniques les appelaient des ‘démolisseurs de genoux’ lorsqu’ils tiraient dans les jambes de manifestants irlandais , écrit McCann (mais l’usage ne se limite plus aux jambes, dorénavant). L’infini dénombrable.

Ce faisant, en tant qu’écrivain, procédez à vos risques et périls, en choisissant chaque mot avec le même soin qu’un neurochirurgien opérant sur un cerveau emploie dans ses gestes; une combinaison d’habileté, de précision, de refus de détourner le regard, et d’une quantité énorme d’empathie.

“Un engin d’empathie, en lui-même un agent de changement” écrit l’un des critiques en page couverture et, pour une fois, je suis d’accord avec les notices publicitaires.

Illustration: sculpture par Anna Mano, faite en soudant des pièces de métal utilisées dans la construction des avions.

*

I was on page 7 and already, I knew that Colum McCann’s Apeirogon* was a book in which I would encounter an aspect of my personal universe. A must-read, whether you think you know Israel and the occupied territories, or not. In my case, the memory of those huge flights of birds taking the South-North-South aerial highway above the region, as well as the scattered bolts and sharp triangles of metal still strewn about after a deadly attack, remain as part of the many defining and unforgettable aspects of my three-year sojourn over fourty years ago.

Mostly, I’m in awe at what McCann managed to achieve. I read an enormous amount but rarely do I experience such a reaction to a writer’s work; in this case, I feel as if he has managed the quasi-impossible by stitching his narrative (and style) straight onto reality.

This includes a superbly mastered use of digressions – a kind of parallel exploration of the fields opened up by the single line or paragraph in the preceding entry. An apeirogon in writing, so to speak. Or the careful assembly of items apparently unrelated at first glance.

In geometry, an apeirogon is a shape with a countably infinite number of sides.

Infinite. But countable. Start at zero, and proceed. This perspective. This other What is suggests. At bird’s eye view. At the barbed wire level. Inside a ‘non-lethal’ rubber bullet ; ‘knee-knockers’ British soldiers called them, McCann writes, when they shot them in the legs of Irish demonstrators (but their use is no longer restricted to the legs, anywhere.). A countable infinity.

In doing so, as a writer, proceed at your own risk, with each word as carefully chosen as the gestures of a brain surgeon, combining skill, precision, a refusal to look away, and a tremendous amount of empathy.

“An empathy engine, it is in itself an agent of change“, writes one of the critics on the cover, and for once, I agree with the blurbs.

*Colum McCann, Apeirogon, Bloomesbury Publishing, Dublin, 2020

Illustration: welded sculpture by Anna Mano, made of metal loops used in building airlines… uh, no, individual planes, rather.

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