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Je ne sais pas qui de Stanislaw Lem, des traducteurs (ou des deux) a le plus disjoncté à l’écriture et à la traduction du Congrès de futurologie *, mais j’avoue en avoir terminé la lecture sur les rotules de mes méninges. (Explication : lorsqu’on lit sur les rotules de ses méninges, les yeux traquent toujours les gribouillis noirs sur la page et reconnaissent même des mots, ici ou là. Mais la signification des gribouillis, et même des mots ? Aussi mystérieuse que celle du cri du hibou dans la nuit.)
Si je résume l’argumentaire de Lem:
1 Fin années soixante, début années soixante-dix, les grandes craintes agitant le landernau mondial étaient : le refroidissement de la planète et une explosion démographique catastrophique.
2 La Grand Bond en Avant de l’industrie pharmaceutique prenait de l’ampleur et les “pilules du bonheur” – tranquilisantes, euphorisantes, stimulantes – connaissaient une aube prometteuse de lendemains radieux (du moins pour les fabricants.)
Fort de ces deux constats, Lem a commis cette espèce de cavalcade effrénée dans laquelle je ne suis pas certaine qu’il ne se soit pas perdu lui-même. En tout cas il m’a perdue, moi, avec l’apparition répétée de nouveaux cachets produisant un monde virtuel recouvrant une monde virtuel précédent, qui recouvrait un monde réel sordide – qui n’était peut-être qu’une autre réalité virtuelle, en fait, allez savoir, à force d’ingérer des cachets d’amnestane, d‘orthographine, de nirvanium, et d’halluciner “un espace extérieur situé à l’intérieur de l’âme” vu qu’il ne restait pas de place où bouger dans le monde . Oh, et puis vite, un autre cachet, et ainsi de suite. “Omnis est pilula! ” prétend le bon professeur Trottelreiner de Lem. (S’il vous est jamais donné de capter les pubs sur une chaîne de télé américaine, vous verrez que le prof se rapprochait de la réalité actuelle).
Mais quand même. C’est foutraque, c’est foisonnant, on se dit que ça dépasse et de loin les limites du simple bon sens…et puis, on jette un oeil sur les informations où un premier ministre britannique perd la boule avant de se lancer dans un éloge improvisé de Peppa Pig, un personnage de dessin animé pour vanter la vigueur économique de son beau pays, après avoir perdu le fil de son discours imprimé (il le lisait peut-être sur les rotules de son cerveau ?). En tout cas, tout le monde est en droit de se demander quel elixir on avait mélangé à son biberon de whisky de mi-journée, cette fois-ci.
*Stanislaw Lem, Le congrès de futurologie, traduit du polonais par Dominique Sila et Anna Labedzka (qui ont droit à des félicitations, vu le défi; traduire la liste inventée de produits pharmaceutiques a dû coûter bien des nuits de cogitation intense), collection Babel, Actes Sud 2021.
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J’ai toujours rêvé d’assister à une pièce de théâtre du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie à Paris. Il n’en sera probablement jamais rien in situ. Mais je vois que la troupe jouera à Toulouse en février 2022, alors, futurologiquement parlant, peut-être cette partie du rêve se réalisera-t-elle.
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Je dois dire que c’est une bonne chose que je ne note pas certaines pensée ici dans l’espoir de susciter les commentaires d’admirateurs et d’admiratrices fanatisés. De toute évidence, les miens et miennes d’admirateurs/trices sont du type fort et silencieux, des hommes et des femmes taciturnes comme des personnages de vieux Western, mais pas le moindrement moroses. Et vraiment, j’apprécie leur discrétion en matière de déploiements intempestifs d’émojis et de ballons gonflés à l’hélium.
Quant à celui, celle ou ceux qui jetterait un regard de ce côté, de temps à autre et qui s’inquiéterait de constater le vide de mes espaces voués aux commentaires : les commentaires sont peu nombreux, mais aucuns soucis, je vis seule, je lis seule et j’écris seule mais j’ai des ami(e)s réels dans la ‘vraie vie’. Me reste à souhaiter de pareilles amitiés réelles aux passants et passantes anonymes, et une traversée stimulante. Les occasions de refaire les mêmes trajets sont rares, à moins de tourner en rond, ce qui devient très fastidieux, très rapidement..
Quant à l’avenir, futurologie ou non, comme l’écrit Emmanuelle Pernet dans la sensation de la traversée, “…l’avenir n’est qu’une prévention de l’identique.” Ou du moins, sa possibilité, on peut l’espérer sincèrement.
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I don’t know who of Stanislaw Lem, of the translators (or of both) experienced the strongest disconnects during the writing and the translating of The Futurological Congress: From the Memoirs of Ijon Tichy but I admit I finished reading it on the knuckles of my brain. (Explanation: when you are reading on the knuckles of your brain, the eyes go on tracking those black squiggles on the paper and even recognize a word, here and there. But the meaning of the squiggles or even of the words? As mysterious as that of an owl’s cry in the night.)
If I summarize Lem’s argument:
1 at the end of the sixties and in the early seventies, the world academic fraternity was awash with the following two great fears: a global cooling of the planet and a catastrophic demographic explosion.
2 The Pharmaceutical Industries’ Great Leap Forward was gaining speed and the “happiness pills” – tranquilizers, anti-depressants, boosters – were showing a dawning full of promises of a radiant future (at least for the manufacturers).
Based on these elements, Lem committed a wild romp in which I’m not sure he didn’t lose himself completely. He certainly lost me as a reader as the pills kept appearing and reality became one virtual world covering yet another virtual world covering a sordid reality that may only have been another illusion, go figure after a while of popping doses of amnestane, orthographin, nirvanium, and hallucinating “an outer space located in the soul’s inner space” because there was no room to move outside. Oh and quick, just pop another pill. “Omnis est pilula!” marvels Lem’s Professor Trottelreiner. (If you ever get to see the ads on an American TV channel, you’ll see the prof was close to describing current reality).
Still. It’s demented, it’s lavish, you tell yourself this goes way beyond the limits of plain common sense… and then you take a look at the news and discover the British Prime Minister losing his marbles and improvising a lyrical hymn to Peppa the Pig, a cartoon character, as his testimonial to his beautiful country’s economy, after losing those marbles somewhere between the pages of his printed speech (perhaps he’d been reading it on the knuckles of his brain?). Anyway, everyone is entitled to wonder what miracle elixir was poured into his noontime feeding of whisky this time.
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I’ve always dreamed of taking in a play at the Théâtre du Soleil’s theater at La Cartoucherie in Paris. This will probably never be. But I see the company will come to Toulouse in February 2022, so perhaps, futurologically speaking, part of the dream will come true.
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I must say it’s a good thing I don’t write down any of my thoughts here in the hope of grabbing the attention and drawing admiring comments from my fans, because my admirers are strong, silent types, men and women both, taciturn like characters in an old Western, but not sullen in any way. And really, I do appreciate their discretion in not spontaneously strewing the place with emojis and helium-filled balloons, that is a fact.
As for the one or ones who throw a glance this way from time to time and who might worry over the void in the comment section below my entries: my comment pages may be close to empty, I may live alone, read alone and write alone, but I have live friends in ‘real life’. I can only wish such real-life friendships on the anonymous passers by, and a stimulating crossing since opportunities to travel the same road twice are rare, unless you happen to be walking in circles which can get awfully boring terribly quickly.
As for the future, futurology or not, as Emmanuelle Pernet writes in the sensation of a crossing, “…the future is nothing but the prevention of the identical.” Or at least, a possibility of such, we can sincerely hope.