
De retour chez-moi. Nuit harassante, vu la présence dans la chambre à la clinique d’une voisine adepte des conversations téléphoniques en pleine nuit. Seule solution : la lecture, puisqu’elle semblait croire que des chuchotements étaient plus tolérables que des échanges familiaux à plein volume. (Pas très intéressants, d’ailleurs, les échanges; je plains surtout le chien, quant au frère, ma foi, à chacun son propre calvaire.)
Et comme je viens de jeter un regard sur les titres démentiels dans les journaux, je me dis que les deux livres que j’avais avec moi étaient parfaits, dans les circonstances. En effet, du foutraque imaginaire, ça change du foutraque tout court.
Donc. Le Cantique de l’apocalypse joyeuse d’Arto Paasilinna a eu droit à une pleine lecture grâce à la voisine de chambre insomniaque et bavarde. Que dire. Une fin de monde qui entraîne la disparition de l’Asie et des deux Amériques, pendant qu’au fond d’une forêt finlandaise, la nature se porte à merveille, même si le soleil se lève dorénavant au nord-nord-ouest et si l’été débute au lendemain de Noël. OK. La partie la plus intéressante, lue dans un contexte hospitalier, c’est l’opération à coeur ouvert et triple pontage pratiquée sur un ours, en utilisant les moyens du bord. En comparaison, avoir l’impression d’être un corps sur une chaîne d’assemblage, livré à une équipe superbement douée techniquement (mais quelque peu dépassée en matière de relations humaines) est nettement préférable, et de beaucoup.
Quand à mon cher Stanislaw Lem, j’en suis dans Le congrès de futurologie au moment où Ijon Tichy émerge de sa cryogénisation suite à une ingestion trop forte de gaz euphorisants (c’est la technique qu’utilisent alors les forces de l’ordre, de préférence aux gaz irritants; le seul problème, c’est qu’il arrive que les forces de l’ordre ajustent mal leurs masques et se joignent à l’euphorie générale, c’est très embêtant pour le gouvernment). Donc, Ijon émerge en 2039 pour découvrir qu’on n’utilise plus des vaches pour fabriquer le lait. On épand une mixture directement sur l’herbe et elle se métabolise en fromage (on ne lui explique pas comment on tire ensuite le lait du fromage, ça viendra peut-être plus loin.)
Pour l’heure, j’en reste sur cette phrase d’Ijon, émergeant de son état d’hyper-congélation: “ Je suis un chou-fleur hivernal sous les rayons du soleil. Le printemps ! Tout fond à présent. Surtout moi. Dans la bouche un glaçon, ou peut-être une langue.”
“Un chou-fleur hivernal” et cetera…on aimerait bien avoir trouvé cette image soi-même, avant d’aborder les titres du jour encore plus déments que ceux que ma soeur, hier, d’un coin des Amériques toujours en existence, qualifiait d’un ‘quelle tristesse’.
En effet. Il vaut mieux disposer de la démence en littérature. De toute façon, elle ne demande pas mieux. Paasilinna, Lem, et bien d’autres, sont heureux d’en faire la démonstration.
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Home. After a sleepless night because of the presence at the clinic of a roommate who was a fan of all-night phone conversations. Only solution: reading, since she seemed to think that whispering was more tolerable than family exchanges at full volume. (Not terribly interesting, either, those kinship issues; my sympathy goes to the dog. As for the brother, what can I say, to each his own Calvary.)
And as I’ve just had a glimpse at today’s headlines, I consider I had the perfect reading material with me, since imaginary craziness is much preferable to live one.
So. Arto Paasilinna’s Joyful Apocalypse received a full reading thanks to the talkative insomniac in the bed next to mine. What can I say. An end of the world that leads to the disappearance of Asia and of both Americas but, in a lost corner of a Finnish forest, nature carries on marvelously, even if the sun now rises in the North-North-West and summer begins the day after Christmas. OK. The most interesting part, read in a hospital setting, is the open heart surgery and triple bypass on a bear, using whatever supplies are on hand. In comparison, the sensation of being a body subjected to an assembly line of surperbly trained technicians (but somewhat lost when it comes to human interactions) seems preferable, by far.
As for my dear Stanislaw Lem in The Futurology Congress, I’m at the point where Ijon Tichy is emerging from his cryonization following an overdose of euphoria-inducing gas (this being the technique used by the forces of Law and Order instead of irritating spays; the only glitch being when the policemen don’t adjust their masks properly and end up in a wild session of euphoric embraces with the demonstrators, which is most annoying from a governmental perspective.) So, Ijon emerges in 2039 and discovers there is no longer any need for cows since you spread a certain mixture on the grass and it metabolizes into cheese. (No one explains how you then obtain milk from the cheese, but maybe this comes later in the story.)
For now, I’m at the moment when Ijon emerges from the deep freeze with these words: “I am a winter cauliflower under the rays of the sun. Springtime! Everything is melting now. Myself, mostly. An ice cube in the mouth, or perhaps, a tongue.”
“I am a winter cauliflower” etc…the kind of image you would love to have come up with yourself, before encountering the headlines, even more demented than yesterday’s about which my sister said from a part of the Americas still very much in existence: “How sad.”
Indeed. Dementia is best dealt with in literature. Besides, it’s perfectly happy to do so, as Paasilinna, Lem and many others are happy to demonstrate.