
Novembre 2012. Un petit génie de la pub marche sur un petit nuage : CanalSat a a-do-ré le concept et ce week-end, les français auront droit à cette pub pleine page, bonne blague et petit frisson garantie à la clé.
Dorénavant, les journaux sérieux se chargent des rappels de plus en plus dramatiques, pendant que les industriels se bousculent pour expliquer comment leur toute nouvelle technologie sauvera la planète, à la condition que les gouvernements leur alloue de nouvelles baisses d’impôt accompagnée de subventions spéciales, qui 1,3 milliards, en fait 2,5 serait encore mieux…
Pendant que le gouvernement nous serine, sans discontinuer, que “la sécurité est la première des libertés.” Ce qui est aussi loufoque que d’affirmer “vous enfermer est la meilleure façon de vous ouvrir.”
Et comme toutes les répétitions, celle-ci s’incruste sans qu’on y prenne vraiment garde. Pourtant, si on regarde la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789, on définit les droits ‘naturels et imprescriptibles’ comme suit: “la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.” Si “la sûreté” était véritablement la première des libertés, on ne comprend pas pourquoi la Déclaration la distingue des autres. À moins de voir le glissement de sens qui s’est opéré et à quoi il s’applique. Alors que le concept se voulait l’expression du “droit de tout individu de ne pas être inquiété, arrêté, détenu pour des motifs qui ne soient pas fondés sur une culpabilité avérée pour une infraction déterminée par la loi”*, de 2002 à 2012 (année de ce fameux encart publicitaire vu ci-haut), la France a vu défilé pas moins de 62 lois sécuritaires; le tout culminant (du moins, pour l’instant) en 2017 dans une loi à contresens de la Déclaration, avec le déploiement en accéléré des mesures de contrôle, tous les prétextes étant bons pour ce faire. La suspicion devient l’excuse pour des contrôles administratifs, sans nécessité de contrôles judiciaires. Sur la base d’un fameux petit “papier blanc” sans signature, ni date, ni identificant quelconque, un individu peut se retrouver assigné à résidence. On s’indigne des méthodes employées en Turquie et manifestement, nous n’en sommes pas là encore. Mais à partir du moment où l’Etat estime que chaque citoyen constitue une menace en puissance à son hégémonie, on se retrouve avec les déchaînements de violence policière à la moindre manifestation de mécontentement. Et tous de se faire dire: “Vous n’aviez qu’à rester chez-vous” puisque la securité est la première des libertés.” (Ce qui est sans doute le cas pour un hermite à la recherche de la transcendance, mais pas pour un travailleur ou travailleuse en usine.)
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Pendant que les voix venues de “petites vies ordinaires” se manifestent chez-moi, comme d’habitude lorsque j’écris, je lis aussi un livre dont le contenu m’intéresse bien que son titre m’étonne: “Revendiquons le droit à la désobéissance” ** me semble exprimer une contradiction fondamentale entre le premier et le dernier terme de la phrase. À qui devrions-nous “revendiquer” ce droit ? À ceux qui nous l’interdisent ? On a l’impression d’entendre un adolescent, coincé entre le contrôle parental et le besoin d’expression personnelle. Mais l’adolescence n’est qu’une des étapes dans la croissance, non ?
L’Etat. En tant qu’espèces, nous sommes vraiment des gobe-tout en matière de termes abstraits. Because abstrait, c’est sûrement beaucoup plus mieux meilleur que concret, n’est-ce pas ? Merci bien, Platon. Tu fais toujours merveille chez les occidentaux.
*Laure Ortiz, citée dans Revendiquons le droit à la désobéissance.
**Me Vincent Brengarth et Jérôme Hourdeaux Revendiquons le droit à la désobéissance, Librairie Arthème Fayard 2021
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November 2012. A little advertising genius is walking on air: CanalSat adored his concept and this weekend, the French will have the benefit of the full-page ad seen above, a jolly good joke and a little shiver included at no extra cost.
Now, in 2021, serious newspapers are handling the more dramatic warnings, while industry reps fall over one another explaining how their brand-new technology will save the planet, conditional on government allowing them new tax breaks and special subsidies of – oh, say 1,3 billion but 2,5 would be better.
While the government endlessly tells us that “security is the first of the freedoms.” Which is about as absurd as saying “locking yourself in is the best way to open yourself up.” (except for hermits seeking nirvana, I grant you, which isn’t the case for factory workers.)
And like any other repetition, this one embeds itself without our truly noticing. Yet, if you look at the 1789 Declaration of the ‘natural and imprescriptible’ rights of Man, it lists them as follows: “liberty, property ownership, safety, and resistance to oppression”. If “safety” were truly the first of the freedoms, one fails to understand why the Declaration sets it apart from the others. Unless we notice how a drifting has occurred in the meaning of the word and to what it applies. While the concept was meant to express the “right of every individual not to be harried, arrested, detained for reasons that were not based on averred guilt in the commission of an infraction determined by the law”, from 2002 to 2012 (year of the famous ad shown above), France saw no less than 62 upgrades to laws on security; all of this culminating (at least, for the time being) in 2017 in a law contrary to the meaning of the Declaration, with the spread of controls, every opportunity now serves as a further excuse. Suspicion becomes the basis for administrative measures, with no judiciary overview. On the basis of the famous “white papers” bearing no date, no signature and no identifier whatsoever, a person can find himself or herself, assigned to residence. Methods used in Turkey provoke indignation, and clearly, things have not reached that point over here yet. But once the State considers each and every citizen as a potential threat to its hegemony, you find yourself with a display of police violence at the slightest movement of discontent. And everyone is told: “You should have stayed home since security is the first of freedoms.”
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While voices from “small ordinary lives” crop up over here, as they always do in my writing, I’m also reading a book I find most interesting despite a title I find surprising: “Revendiquons le droit à la désobéissance” (Let us claim the right to disobedience) strikes me as a contradiction between the verb and the final word in the sentence. From whom are we supposed to “claim” this right ? From those who forbid it? It’s a bit like hearing a teenager, caught between parental controls and the need for personal expression. But adolescence is only one stage in growth isn’t it?
The State. As a species, we are really suckers for abstractions. Because something abstract is surely way much better than something concrete, yes ? Thanks a lot, Plato. You’re still a hit in the Western world.