exclusions

Lorsque je sors de chez-moi, mes premiers voisins à droite se trouvent tout de suite après une petite rue transversale. Les résidents permanents en sont un homme (probablement un ancien ouvrier de mégisserie, un retraité à la santé chancelante), sa femme et deux de leurs petits-fils âgés d’environ 10 ans. De nombreux autres petits enfants sont souvent de passage pour quelques jours, ainsi que leurs deux fils (qui semblent mieux s’entendre depuis qu’ils n’habitent plus ensemble; en tout cas, ils ne se battent plus en se lançant des pierres devant chez moi comme ils le faisaient avant); une de leurs filles que j’appelle “la souriante” qui me salue toujours en demandant de mes nouvelles (qui sont toujours excellentes, il va sans dire, tout comme les siennes, d’ailleurs), et leur autre fille que j’appelle “la hurlante” et qui est probablement la mère des deux gamins habitant en permanence chez les grands-parents.

Physiquement, “la hurlante” est une très belle femme, ce qui ne semble guère lui avoir été un avantage. Elle ne vient pas souvent (on me dit même qu’elle n’a pas un droit de visite en bonne et due forme du tout, parce qu’elle” a de gros soucis.”) Occasionnellement, elle est de commerce plutôt agréable, du type bon voisinage; mais la plupart du temps, elle est dans un état de désarroi complet. Et elle hurle, en faisant les cent pas sur la partie élargie du trottoir devant chez-moi. Un jour, dans un accès de rage, elle a projeté son téléphone à travers la rue; le téléphone ne s’en est pas remis, alors elle a continué à hurler en s’adressant directement au ciel au-dessus de nos têtes, sans passer par des intermédiaires, mais sans grands résultats apparents non plus. (Je me demande toujours pourquoi la personne à l’autre bout de la communication continuait de répliquer à ses hurlements, surtout après la fois où elle a démoli la vitre de la voiture, du côté du chauffeur, d’un coup de pied à la karate kid. Mais il ne m’appartient pas de m’interroger sur les voies qu’emprunte le grand amour, juste de m’interroger parfois à ce sujet me suffit amplement.)

Bref, elle “a de gros soucis” et à intervalles réguliers, elle disparaît pour une autre hospitalisation, un autre cocktail pharmaceutique, une autre période de rémission, avant que les hurlements se ressaisissent d’elle. Raison pour laquelle je l’appelle La hurlante, ça me paraît assez évident.

Je la considère fortement apparentée à un personnage dans l’histoire que je viens de terminer. Sa compagne fictive s’appelle Nouam. Depuis hier soir, Nouam semble avoir des choses à me confier. À savoir s’il en résultera une autre histoire, il est trop tôt pour le dire.

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On me dira que de hurler dans la rue n’est pas une façon très habile de se faire entendre. C’est vrai. Mais parler sur le ton de la conversation ne sert pas à grand chose non plus quand tout concourt à rendre et les cris et les mots inaudibles.

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Exemple: un homme termine une peine de prison de 30 ans dans une prison de Tekirdag, Turquie. On prolonge sa peine d’une année supplémentaire. Motif invoqué: il aurait “cassé une radio”…qu’il avait payé lui-même. Il n’est pas le seul. Et, dans le cas de ces prisonniers-là, ils n’auront même pas droit à une crise de rage publique d’Erdogan ordonnant le renvoi de dix ambassadeurs ayant réclamé la libération d’Osman Kavala, détenu sans condamnation depuis 4 ans (lettre de Kavala à ce propos, ici.) Non, dans le cas de Tevfik Kalkan et des autres prisonniers politiques dans son cas, le silence vient sceller les exclusions, derrière des concerts de hurlements à faire oublier l’essentiel.

Je maintiens ma confiance dans le pouvoir des mots qui font honnêtement leur simple travail de base. Non pas que j’aie de grands espoirs pour l’avenir, Tout simplement, je n’ai pas encore constaté des hurlements qui amélioraient substantiellement le sort de qui que ce soit. Et il arrive, occasionnellement, j’en conviens, que des mots dénués d’effets de manche fassent le boulot qui leur est assigné.

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When I step outside, my first neighbours to the right are just across from a small side street. The permanent residents are a man (probably a retired tannery worker, in ill health), his wife, and two of their grandsons aged approximately 10. Several other grandchildren often stay for several days, other visitors including their two grown sons (who seem to get along better now than they did in the days when they fought and threw stones at each other in front of my window) ; one of their daughters I call “the smiler” because she always smiles and asks how I’m doing (to which I smile back and say everything’s fine, and you, of course), and their other daughter I call “the howler” who is probably the mother of the two boys living there on a permanent basis.

Physically, “the howler” is a beautiful woman which doesn’t seem to have provided her with much of an advantage. She doesn’t show up often (I’m even told she has no visiting rights whatsoever because she “has major problems”.) Occasionally, she is fairly pleasant; but most of the time, she is in a state of total discombobulation. And she howls, moving back and forth on the wider part of the sidewalk in front of my place. One day, in a fit of rage, she threw her phone across the street; the phone didn’t get over it, so she went on howling straight to the sky above our heads, with no go-betweens, but with no apparent results either. (I still wonder why the person at the other end seemed to go on responding to her howls, especially following the time she kicked out the window on the driver’s side of his car in pure Karate Kid style. But mine is not to argue the path of true love, just wondering over it is more than enough for me.)

In short, she “has major problems” and at regular intervals, she disappears for another stay in the hospital with yet another pharmaceutical cocktail, followed by another period of remission before the howlings grab hold of her again. Reason why I call her The Howler which is kind of self-evident.

I find she appears to have a strong kinship with a character in the story I just ended. Her fictional companion is called Nouam. Since last night, Nouam seemed to have things to tell me. Whether this will result in another story is too soon to tell.

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Of course, someone is bound to say that howling in the street is not a very clever way to get heard. True enough. But keeping to a conversational tone isn’t terribly useful either, when everything is done to render both howls and words inaudible.

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For example: a man serves a 30 year prison sentence in full in a prison in Tekirdag, Turkey. He finds an extra year tacked on to his sentence. Reason invoked: he broke a radio…he had paid for himself. He’s not the only one. And those prisoners won’t get the benefit of a public temper tantrum from Erdogan ordering the dismissal of 10 ambassadors over the request to free Osman Kavala, now held for 4 years prior to sentencing (Kavala’s letter here; English translation to follow.) No, when it comes to Tevfik Kalkan and other political prisoners in his situation, silence seals the exclusions, covered by howls designed to hide essentials.

I keep faith with the power of words doing their honest, basic work, not out of any great hopes for the future. I’ve yet to see any howling that made things substantially better for anyone, that’s all. And it does happen, only occasionally I grant you, that words without extravagants displays do the job assigned to them.

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