2 cas de figure/2 scenarios

Deux cas de figure parmi tant d’autres :

Le premier cas de figure est tellement exceptionnel qu’il ressemble à la cagnotte de 84 millions d’euros à la super-lotto européenne: elle n’a pas d’agent littéraire (du moins, elle n’en avait pas avant cet événement), son livre avait finalement été accepté par un petit éditeur et imprimé à…500 exemplaires. Personne ne voulait en faire la critique, personne ne voulait écrire les fameuses phrases enfilant les superlatifs, accompagnées de points d’exclamation. (Dites, un doute m’assaille soudain: les gens se font-ils payer pour ces éloges ? Prix fixe ? Négotiable selon le nombre et la qualité des superlatifs ?) Bref…non, attendez, quoi ? En lice pour le fameux Booker Prize brittanique ?

Eh oui, ce miracle est bel et bien advenu à l’écrivaine sud-africaine Karen Jennings pour son roman An Island.

“Je crois que les gros éditeurs doivent faire très attention, parce qu’ils s’attendent à ce que les auteurs se réduisent et réduisent leur écriture à des stéréotypes afin d’être publiés, ce qui ne fait que renforcer le stéréotype chez les lecteurs qui s’attendent à certains récits. Alors, si les éditeurs sont prêts à prendre des risques sur des récits différents et des écrivains différents, alors je crois que le public en fera autant,” dit-elle.

Karen, je suis vraiment ravie pour toi et j’anticipe le plaisir de lire ton récit de cet homme sur son île, pas du tout content de l’arrivée de ce réfugié que la mer dépose sur son rivage.

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J’ose espérer que le second cas de figure est exceptionnel pour d’autres raisons: elle a un agent, elle est connue et même reconnue, avec de multiples prix. L’agent a autre chose à faire, apparemment, alors après avoir assuré la traduction anglaise de son plus récent titre, je me charge des démarches pour lui trouver un éditeur américain. (Si le titre est accepté quelque part, l’agent percevra son 15%, bien entendu.)

Et la morale de ces cas de figure ? Aucune, de plus en plus, le monde de l’édition m’apparaît comme un champ de cas de figure individuels.

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À compter de demain, moi, mes boutures et mes écrits nous installeront pour une semaine chez une copine qui part en vacances. J’y veillerai sur le chat de la maison ainsi que sur un petit chaton qu’elle a trouvé…réfugié (politique ou climatique, allez savoir). Réfugié où? Contre le moteur de la voiture lui tenant lieu de mère-substitut (du coup, je penche pour le réfugié politique).

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Ah non, il faut que je vous rajoute ce bout de Portrait de l’artiste en jeune homme d’Antonio Lobo Antunes*:

Quand, vers l’âge de huit ans, je résolus de me consacrer à la littérature, j’imaginais que tous les écrivains sans exception ressemblaient au souverain de Malaisie Sandokan

(mon héros d’alors et d’aujourd’hui)

c’est-à-dire très beau, brun, avec une barbe, des yeux verts et un turban à rubis. Le fait que je fusse blond, les yeux bleus et sans rubis me préoccupait, et je voulus frotter mes cheveux avec du cirage pour foncer mes mèches : j’essayais sur ma frange, et j’eus tout à fait l’air d’un hérisson de ramoneur, on me demanda

-le jeune homme est idiot ou le fait-il exprès ?

on me pria d’aller me laver les mains et la figure, de venir à table et j’ai passé le dîner le nez dans mon potage à détester mes parents de ne pas m’avoir fait mulâtre. À mes yeux je possédais un physique incompatible avec le drame, la poésie, le conte, et je me préparais à changer de carrière pour être retraité, martyr ou otage

(les trois carrières qu’on me proposait d’embrasser à défaut de talent pour les belles-lettres)

*Antonion Lobo Antunes, Dormir Accompagné livre de chroniques II, traduit du portugais par Carlos Batista, Christain Bourgeois Éditeur, 2001

The first scenario is so exceptional that it resembles the 84 million euro jackpot in the European Lottery: she has no agent (or had none prior to this event), her book finally found acceptance with a small publisher with an initial printing of…500 copies. No one wanted to write the review, no one wanted to write those famous miraculous strings of superlatives followed by exclamation points (also known as blurbs). (Say, doubt gnaws at me all of a sudden: do people get paid to write the praise? Fixed price? Negotiable depending on the number and quality of the superlatives?) In short…no, wait, what’s that? Long-listed for the famous British Booker Prize?

Yep, this miracle has truly occurred for South African writer Karen Jennings and her novel, An Island.

“I think that the big publishers have to be very careful, because they are expecting authors to reduce themselves and their writing to stereotypes in order to be published, and then that is reinforcing the stereotype to readers, who are expecting certain stories. So, if the publishers are willing to take chances on different kinds of stories and different kinds of writers, then I think the public will, too,” she says.

Karen, I’m truly happy for you and look forward to reading your tale about a man on his island not at all thrilled by the prospect of taking in the refugee the sea has just dumped on his shore.

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I dare hope that the second scenario is exceptional also, for other reasons: she has an agent, she is known and even renowned, with numerous prizes. The agent has better things to do, apparently, so having translated her most recent work, I’m handling the queries to find an American publisher. (If the title is accepted somewhere, the agent will collect his 15%, of course.)

The moral to these tales? None, really, more and more the publishing world appears to me as a vast field of individual scenarios.

*

Starting tomorrow and for a week, me, my sprouting plants and my writings will be staying at a friend’s house while she goes on holiday and I keep an eye on the regular house cat plus a tiny refugee kitten (political refugee? climate refugee? who knows). Where was the kitten sheltering? Against the motor of her vehicle as a mother-substitute (which makes me lean toward a political refugee status.)

*

Oh, I must add this excerpt of Anonio Lobo Antunes” Portrait of the artist as a young man”:

“When, at approximately the age of eight, I resolved to devote myself to literature, I imagined that all writers without exception resembled the Sovereign of Malaysia, Sadokan

(my hero then and now)

which is to say very handsome, brown, with a beard, green eyes and a turban with rubies. The fact I was blond, with blue eyes and without a single ruby concerned me, so I attempted to rub shoe polish into my hair to darken my locks: I tested this on my bangs which gave me the look of a chimney sweep’s brush and I was asked

is the young man stupid or does he do it on purpose?

I was told to go wash my hands and face, and come back to the table where I spent the dinner with my nose focused on my bowl of soup, hating my parents for not making me a mulatto. In my view, I possessed a physique that was incompatible with drama, poetry, tales, and I was getting set to change my career to that of a retired person, a martyr or a hostage

(the three careers I was being offered seeing as I lacked the talent for great literature.)”

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