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Mon propos n’est pas critique envers les personnes qui révèlent les faits de viols ou d’autres violences dont elles ont été victimes. Bien au contraire. Il faut beaucoup de courage pour assumer, non seulement les faits dans leur crudité mais les réactions qui s’ensuivent, qu’elles soient de nature blessante ou de monstrueuse indifférence.

Non, je me demande simplement quand viendra le moment où on passera à la phase suivante, celle qui s’impose de toute évidence: celle où l’on cessera de traiter ces violences comme des “préoccupations féministes” ou des “problèmes de femmes” individuels pour examiner l’ensemble de la culture dans laquelle baignent garçons et filles, depuis leur conception jusqu’à leur mort.

Car c’est à partir du moment où l’on sait que l’enfant à naître sera d’un sexe ou de l’autre que la préparation mentale se met à élaborer ce que sera le parcours du petit garçon ou de la petite fille: les tenues dont on les vêtira, les jouets et les jeux qui leur seront proposés, les injonctions de comportement (“tu pleures comme une fille ? Voyons, un grand garçon comme toi ? – “Un vrai garçon manqué ! Moi qui rêvais de pouponner, je suis bien servie !”), et ainsi de suite. Côté sports: même histoire. Et à la question “quel métier voudrais-tu faire plus tard ?“, observez les réactions les plus fréquentes si la petite fille répond: “pompier” et le petit garçon: “aide à la petite enfance”. (“Bouh ! celui-là: toujours à jouer avec les poupées de sa soeur ! – Bouh ! celle-là: toujours à potasser les manuels de mécanique de son frère !”)

Bref. Pas besoin d’aller jusque chez les Samo au Burkina Faso comme l’a fait Françoise Héritier, mais l’observation qu’elle y fit en dit long sur les différentes versions du schéma comparable ailleurs: “Les femmes disent qu’il faut allaiter tout de suite le petit garçon qui pleure parce qu’il a le “coeur rouge”, c’est-à-dire qu’il peut devenir facilement furieux, qu’il est impatient et que la fureur le met en danger: il pourrait en mourir. Le petit garçon qui pleure reçoit immédiatement le sein. Alors qu’une petite fille, elles la laissent attendre ; elles disent qu’il faut lui apprendre la patience puisque toute sa vie, elle devra être patiente…On façonne ainsi des hommes pour qui il est naturel d’obtenir immédiatement ce qu’ils convoitent, et des fillettes pour qui il est naturel d’attendre patiemment qu’on veuille bien leur accorder ce dont elles ont envie ou besoin. On fabrique donc ce qui sera considéré ensuite comme la marque d’un tempérament naturel.”*

Transposez le tout sur la pulsion sexuelle “incontrôlable” de l’homme et tout l’appareil de justifications entourant ce “besoin” exigeant satisfaction immédiate…comparé au comportement “inadmissible” de femmes “qui ne savent pas se contrôler.” Franchement, quand commencerons-nous à considérer les humains en tant qu’individus uniques plutôt qu’en tant que modèle standard pour les garçons et différent modèle standard pour les filles? Ne serait-ce que pour cesser de tenir des discours sur “l’homme” et “la femme” comme s’il s’agissait de modèles à taille unique…

*Françoise Héritier, L’identique et le différent, Éditions de l’Aube, 2018

Illustration: c’est une version féline de: “Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir?” dans le conte de Barbe-Bleue.

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My aim is not to criticize those who reveal the rape or other acts of violence to which they were subjected. Quite the contrary. There’s need of a tremendous amount of courage to bear, not only the weight of the facts in all of their rawness, but the reactions that follow, be they wounding words or monstrous displays of indifference.

No, I’m simply wondering when we’ll move on to the next phase, one that is urgently required: when we will stop considering these as individual “feminist issues” or “women’s problems” in order to move on to collective reappraisals of the culture in which boys and girls are bathed from the time of their conception to that of their death.

Because the mental preparation begins the moment the gender is known of the future human, as to what will be set up for him or her: the clothes, the toys and games, the behavioral messages (“You’re crying like a girl? Come on, a big boy like you?” – “A real tomboy! There I was, dreaming of a little doll, and this is what I get instead!“), and so on. Sports: same story. And to the question “what do you want to be when you grow up?“, watch the most common reactions if the little girl answers: “a firefighter“, and the little boy: “a kindergarden worker(“Oy, that one: always playing with his sister’s dolls! – Oy, that one: always with her nose in her brother’s books on mechanics!”)

In brief. No need to go all the way to the Samo in Burkina Faso as did Françoise Héritier, but her observations give a good illustration of the comparable templates elsewhere: “The women say they must feed a little boy as soon as he cries because he has a “red heart” which means he could easily become furious, he is impatient and furor is dangerous for him: it could kill him. The crying little boy immediately gets the breast. Whereas they let a little girl wait; they say she must learn patience, because she will need to be patient her whole life long…Thus are shaped men who consider it natural to receive immediately what they covet, and little girls for whom it is natural to wait patiently for what they desire or need. Thus do you produce what will later be considered as a natural temperament.”

Transpose all this on the supposedly “uncontrollable” sexual urge in men and the whole set of justifications around this “need” necessitating immediate satisfaction…compared to the “inadmissible” behaviour of women “who can’t control themselves.” Frankly, when will we start paying attention to unique individuals instead of one-size templates for boys and a different one-size template for girls? If only to stop talking of “man” and “woman” in one size-fits-all language…

Illustration: a feline version of the question “Sister, dear sister, do you not see anything coming?” from the Bluebeard story.

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