Le caniche de Schopenhauer/Schopenhauer’s poodle

Il est vrai qu’on parle plus souvent du chat de Schrödinger que du caniche de Schopenhauer. Le chat en question étant une représentation métaphorique d’un état particulier de la matière au niveau de la physique quantique – à la fois mort et vivant à la fois.

Mais, justement, mon propos n’est pas au niveau de la physique quantique. Raison pour laquelle, tirée d’un fond de tiroir hier soir, une revue de 2007* m’a rappelé une observation que je m’étais faite à l’époque. Il faut savoir que le philosophe Schopenhauer avait une perspective tout à fait lugubre sur l’existence. Pour lui, le bonheur n’était qu’un leurre et l’existence oscillait entre la souffrance et l’ennui. Youpi, on se croirait en plein récit de pandémie/confinement/jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience?

Et pourtant. Chaque matin au troisième toc de la cloche des huit heures, Arthur-le-malheureux se levait, faisait ses ablutions et se préparait un petit déjeuner copieux (il faut croire que sa mysoginie et son antisémitisme le creusaient). Il réfléchissait ensuite à la souffrance, au malheur, à l’ennui et top, à 11h45, Artur se saisissait de sa flûte pour un petit quart d’heure de musique. Puis, top, à midi pile, il partait se payait un bon frichti à l’hôtel d’Angleterre. L’après-midi était consacré à la promenade du caniche – j’imagine facilement la vivacité du chien à la vue de la laisse; son maître se disait-il qu’il s’agissait d’un leurre ??Et ainsi de suite, jour après jour après jour – les journaux à 18heures, suivis d’un dîner, d’un concert ou d’une pièce de théâtre. Avouez que vécu dans de telles conditions, le pessimisme le plus noir n’est pas précisément insupportable. (quoique pour la monotonie, on peut comprendre qu’après un certain temps..)

Quoiqu’il en soit, avant-hier, le vieil homme qui habite à côté de chez moi a été transporté à l’hôpital. Je l’ai appris, en entendant quelqu’un pleurer à ma porte. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un enfant qui chantonnait, ou d’un petit chat, mais non, c’était sa grande fille qui pleurait. Je n’ai pas encore de nouvelles à son sujet. Une autre connaissance m’apprend l’état très grave de sa mère et le suicide d’un petit-neveu âgé de 51 ans. Je passe sur l’état général du monde qui n’a rien de reluisant. Et au travers de tout ça, je ne peux m’empêcher de penser que le caniche de Schopenhauer ne partageait en rien la triste philosophie de son maître. Il faut croire que le point d’équilibre de Schopenhauer, entre souffrance et ennui, se trouvait dans le confort.(Alors, de quoi diable parlait-il, en fait ?)

*Le Point Hors-série, Nietzsche, Schopenhauer, Kierkegaard, les textes fondamentaux et leurs commentaires, septembre-octobre 2007.

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True, there is usually more talk about Schrödinger’s cat than about Schopenhauer’s poodle. Said cat being a metaphorical representation of a specific state of matter at the quantum level – existant and non-existant at the same time.

But, precisely, my comments are not at the quantum physics level. Reason for which, pulled out of a desk drawer, a magazine from 2007 reminded me of an observation I had made to myself back then. It should be known that the philosopher Schopenhauer held a perfectly lugubrious view on existence. For him, happiness was nothing but a delusion and existence oscillated between suffering and boredom. Hurray hurray, you would think this is a tale set during a pandemic/confinement/ When, O Catiline, do you mean to cease abusing our patience?

And yet. Every morning, at the third stroke of the eight o’clock bell, Arthur-the-miserable rose, washed up and prepared a copious breakfast for himself (apparently, his misogyny and antisemitism gave him quite an appetite). Afterwards, he reflected long and hard on suffering, on misfortune, on boredom and then right on the stroke of 11:45 AM, he took out his flute for a little fifteen minutes of music. On the strokes of noon, he took off for a hearty meal at the England Hotel. The afternoon was spent walking the poodle – I can well imagine the dog’s friskiness at the sight of the leash; did his master see this as a delusion?? And so on, day after day after day – newspapers at six, followed by dinner, a concert or a play. You must admit that, lived under such conditions, the darkest of pessimisms is not exactly unbearable (although, as far as monotony is concerned, one can understand that, after a while…)

The day before yesterday, the old man who lives next door was taken to the hospital. I learned about it through hearing someone crying in front of my door. At first, I thought it was a child doing a sing-song, or a little kitten, but no, it was his grown daughter, crying. I don’t have any further news about him yet. Another acquaintance tells me of the serious condition of his mother and of the death by suicide of a 51 year old nephew. I pass on the general condition of the world, that has nothing to recommend it. And through all this, I can’t help thinking that Schopenhauer’s poodle did not share his master’s sad philosophy. One has to think that Schopenhauer’s state of equilibrium, between suffering and boredom, was located in comfort. (So what the hell was he talking about?)

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