comment dire

Hier, un jeune homme est venu me voir. L’un des jeunes à qui j’ai pu rendre service, il y a de cela quelques années déjà. Il travaille dorénavant dans une boulangerie médiocre et m’apporte chaque semaine bénévolement deux baguettes du pain médiocre qu’on lui fait fabriquer. Mais il venait pour commencer à me raconter son histoire – un désir qu’il avait évoqué il y a quelques mois; je lui avais répondu “quand tu voudras.”

Hier, il voulait. Alors il a parlé de son enfance de petit dernier d’un père qui avait quatre épouses et “entre 30 ou 35 enfants”, il ne saurait dire avec précision. De son départ, de sa traversée (non métaphorique) du désert. De ses trois nuits et quatre jours en mer avec une centaine d’autres, sans eau et sans nourriture, sur un Zodiac qui se dégonflait sans cesse – raison pour laquelle les passeurs leur avaient fourni une pompe après avoir bourré l’un d’entre eux de drogue pour qu’il reste éveillé, et “formé” à l’usage d’un gps. Cette longue dérive étant due soit aux drogues qui avait déboussolé le ‘pilote’, soit sa compréhension des coordonnées maritimes qui lui avait fait défaut.

Mais ce qui résonne en moi aujourd’hui, ce sont ses mots concernant l’impression très forte de la présence à bord du Zodiac d’au moins une centaine de personnes additionnelles, une fois que l’obscurité tombait. Peut-être parce que les corps avaient tendance à s’affaler davantage dans le sommeil, ai-je suggéré. Impossible, m’a-t-il répondit, il n’y avait pas un espace de libre entre nous. Il s’est tu quelques minutes et il a ajouté qu’il y avait beaucoup d’histoires qui circulaient au sujet des “présences” qui attendaient les voyageurs en mer. “Présences” jaillies des eaux, ou simplement formées dans l’air ambiant et qui se déposaient dans une barque en mer, pour se dissiper à la lumière du jour.

Nous y reviendrons peut-être, quand nous continuerons son récit.

*

Yesterday, a young man came to see me. He is one of the youths I was able to help out a few years ago. He now works in a mediocre bakery and every week, he offers me two of the mediocre baguettes he is made to put together. But yesterday, he came in order to begin telling his story – a wish he had evoked a few months ago and to which I had answered “whenever you want.”

Yesterday, he wanted. So we talked about his childhood as the youngest of a father with four wives and “between 30 or 35 children” he doesn’t know exactly. Of his departure, of his (non-metaphorical) crossing of the desert. Of his three nights and four days with some hundred others, without food or water, aboard a constantly deflating rubber boat – reason for which the smugglers had equiped them with a pump, after doping up one of them and teaching him how to read a gps. Their long period of drifting was due either to the drugs given to the “pilot” or to his poor understanding of maritime coordinates.

But what resonates for me today, are his words about the very strong impression of at least a hundred additional presences aboard the Zodiac, after nightfall. Perhaps because bodies had a tendency to spread out more once asleep, I suggested. Impossible, he answered, there was absolutely no space left between us. He was silent for a few minutes, then he added there were several stories about “presences” that awaited sea voyagers. “Presences” rising out of the waters, or simply taking shape out of the surrounding air, settling on boats, then dissolving in the light of day.

Perhaps we will talk about them again, when he continues his narrative.

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