
Etats-Unis, an 2000. Un journaliste recueille l’opinion d’une caissière dans une station-service dont le mari est ouvrier dans le secteur de la construction. Le pays s’apprête à voter pour un nouveau président, soit George W. Bush junior (Parti Républicain) ou Al Gore (Parti Démocrate.) La femme dit au journaliste: “Je ne pense pas qu’ils pensent à des gens comme nous…Peut-être s’ils habitaient dans une roulotte de deux pièces, ça serait différent.” Une américaine noire (qu’on désigne là-bas d’Américaine Africaine), gérante dans un McDonald qui gagne à peine plus que le salaire minimum, dit des deux candidats: “Je ne prête même pas attention à ces deux-là, et tous mes amis disent comme moi. Mon existence ne va pas changer.” *
Le vote populaire fut majoritairement en faveur d’Al Gore. Mais le collège des grands électeurs accorda la victoire à George W. Bush junior.
L’année 2021 s’ouvre sur la perspective d’une scission profonde dans le pays, où près de la moitié des électeurs attachés à l’illusion qu’ils avaient enfin trouvé un représentant en la personne de Donald J. Trump (et refusant d’entendre d’autres opinions que celles des conspirationnistes nourrissant leur sentiment de privation de leurs droits), pendant que le président-élu Biden continue de répéter le mantra au sujet de son pays “le plus grand de tous les pays au monde”. Les variations de ce mantra sont entendues dans tous les pays du monde où les mêmes sentiments de privation de droits nourrissent nombre de mouvements plus ou moins en contact avec la réalité. Leur seul point commun étant que les riches s’enrichissent toujours plus, mais pas les pauvres. Pendant ce temps, les régimes autoritaires avancent leurs pions, la plus récente trouvaille étant celle des stérilisations massives de femmes ouïghours en Chine, présentées par le gouvernement comme une avancée féministe, libérant les femmes de leur rôle forcé de “machines à produire des bébés”.
Ajoutez à cela les isolements forcés qu’imposent les tentatives plus ou moins futées de contrôle sur une pandémie mondiale et le recours aux “réseaux sociaux” comme ersatz à la communication “en chair et en os”, et les conditions d’accroissement des fractures sont réunies. À quoi le monde va ressembler alors que les icebergs réelles et les métaphoriques continuent à se fissurer autour de nous, je ne saurais dire. Tout ce que je sais, c’est que les mots sont parmi nos instruments les plus précieux, et que la “liberté d’expression” ne consiste pas à répandre chaque idée mal réfléchie et malveillante qui traverse l’esprit, comme autant de crachats chargés de microbes de haine sur ceux qui nous entourent.
Cela dit, ne reste qu’à vivre aussi correctement que possible sur une planète dont la partie humaine est bien malade et à nous souhaiter, selon le dicton habituel de début d’année: “de la santé, surtout!“
*Howard Zinn, A People’s History of the United States, Harper Perennial Modern Classics 2003
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United States, year 2000. A journalist records the opinion of a cashier in a filling station whose husband is a construction worker. The country is about to vote for a new President, either George W. Bush Junior (Republican Party) or Al Gore (Democratic Party). The woman says to the journalist: “I don’t think they think about people like us…Maybe if they lived in a two-bedroom trailer, it would be different.” A black woman (referred to, in the States, as an African American), manager in a McDonald where she earns hardly more than the minimum wage, says of the two candidates: “I don’t even pay attention to those two, and all my friends say the same. My life won’t change.” *
Al Gore won the popular vote. But the college of great electors awarded the victory to George W. Bush junior.
The year 2021 opens on the perspective of a deep rift in the country, with close to half of the voters committed to the delusion that they had finally found a representative in Donald J. Trump (and refusing to hear any other opinions that those of conspirationists feeding their sense of disenfranchisement) while President-elect Biden goes on repeating the mantra about his being “the greatest country in the world”. Variations of this mantra to be heard in every single country across the world, where the same massive sense of disenfranchisement feeds any number o movements more or less connected with reality. Their only common feature being that the rich get richer and the poorer don’t. Meanwhile, authoritarian regimes move their pawns forward, the most recent find being that of massive sterilizations of Ouïghour women in China, presented by the government as a step forward for feminism, freeing women of their imposed role as “baby making machines”.
Add to this the forced isolation imposed by more or less clever attempts at controlling a world-wide pandemic and the reliance on “social media” as an ersatz to communication “in the flesh”, and conditions for the spreading of fractures are assembled. What the world will look like as the real icebergs and the metaphoric ones go on break down around us, I really cannot say. All I know is that words are among our most valuable tools and that “free speech” does not mean spewing every half-baked and hateful idea that shoots through a brain like so much germ-filled spittle on those around us.
That said, there’s nothing else to do except to live as correctly as possible on a planet whose human part is very ill. And to wish upon ourselves as the usual New Year saying goes: “Health, most of all!”
*Howard Zinn, A People’s History of the United States, Harper Perennial Modern Classics 2003