
Hier, les circonstances ont fait que je me suis retrouvée à traduire l’article suivant vers l’anglais alors que se déroulait à Washington le plus récent incident dans la débandade politique entourant les tentatives de Trump pour se maintenir au pouvoir, tentatives qui seraient loufoques si elles n’étaient que les péripéties dans un scénario de film à la Dr Folamour. En Turquie, il s’agissait de la poursuite des manoeuvres d’Erdogan et de sa clique pour priver les citoyens non seulement de liberté d’expression mais de liberté de pensée tout court, par le limogeage du recteur de l’université Bogaziçi d’Istanbul et son remplacement par un administrateur-tuteur affidé du Président. Aux Etats-Unis, passant outre aux votes exprimés par une majorité en faveur des Démocrates, Trump incitait à la désobéissance civile son propre vice-président ainsi que tous les illuminés par ses mensonges qu’il avait convoqués à Washington pour contester la validité du vote en sa défaveur. Ils étaient appuyés par plusieurs élus du Parti Républicain se faisant forts de récupérer les dits illuminés pour leur propre course aux présidentielles de 2024. Une fois que les illuminés eurent envahi le Capitole et qu’une femme soit morte par balle, plusieurs de ces élus ont mis en pratique le fameux dicton “Courage, fuyons“, et se sont découverts un amour tardif pour la constitution de leur pays. Pendant ce temps, en Turquie, les étudiants et les professeurs ayant manifesté contre la mise en tutelle de leur université se sont retrouvés, qui en garde à vue, qui menacés de poursuites, le vice-ministre de l’Intérieur leur promettant qu’ils verraient “ce que c’est qu’un Etat”.
Un Etat. Le mot magique qui autorise des minus habens à se proclamer, armes au poing, les représentants sur terre soit de Dieu, de l’Ordre, du Droit, de la Justice ou de tout cela à la fois.
Entretemps, je comprends si vous ne voyez pas tout l’intérêt que suscitent ces deux pommes encore accrochées à leurs branches et qui, elles ne sont pas pourries. Vous ne pouvez pas comprendre parce que, chaque fois que j’apparais, la volière se disperse et se réfugie sur le plaqueminier du voisin, où quelques kakis suscitent le même type de rassemblement – de merles, surtout, mais aussi d’oiseaux plus petits qui trouvent le moyen de s’emparer d’une ou deux becquées. Pour un animal muni d’un bec, manger une pomme (ou un kaki) ne se fait pas par grandes ou petites bouchées. Raison pour laquelle ces quelques fruits font partie de l’ordinaire d’une bonne quinzaine d’oiseaux depuis plusieurs semaines. Tous semblent y trouver leur compte sans qu’un Etat leur apprenne comment se tirer d’affaire. Comme l’écrit Vinciane Despret dans Habiter en oiseau*, pour les oiseaux, il s’agit de territoire, et non pas d’Etats: “Faire un territoire, c’est créer des modes d’attention.” Les oiseaux font attention les uns aux autres. Les luttes menant à des blessures ou des morts sont rarissimes.
Pas sûre que nos “hommes d’Etat” l’emportent en intelligence sur les merles et les mésanges qui se nourrissent à tour de rôle sur deux pommes dans ma cour et quelques kakis dans celle du voisin.
*Vinciane Despret, Habiter en oiseau, Actes Sud 2019
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Circumstances led me yesterday to translate toward English this article while the latest incident in the political rout following Trump’s attempts at staying in power played out in Washington, attempts that would appear funny in a grotesque way if they were only scenes from a Dr Strangelove kind of movie. In Turkey, Erdogan and his minions were proceeding to their latest attack on citizens’ rights not only to freedom of expression but to freedom of thought, by removing the rector of Bogaziçi University in Istanbul and replacing him with an administrator-tutor under the President’s sway. In the United States, ignoring the certified results of a majority of votes for the Democratic Party, Trump was goading even his vice-president toward civil disobedience along with the cranks he had drawn to Washington with his lies. They were supported by a number of Republican Party elected officials keen on recuperating said cranks for their own run at the presidential elections in 2024. Once the cranks had invaded the Capitol and one woman had died from a bullet wound, many of those elected ones applied the famous principle “A Brave Retreat is a Mark of Valor”, and discovered their belated love for their country’s constitution. Meanwhile in Turkey, students and teaching staff who had demonstrated against their university being placed in trusteeship, found themselves in police custody or threatened with prosecution, the Deputy Minister of the Interior promising to show them “what a State is all about.”
A State. The magical word authorizing every minus habens with a weapon to proclaim themselves the representatives on earth of God, Order, Law, Justice or of all of these at once.
Meanwhile, I can well understand if you can’t see all the interest generated by those two apples still hanging on their branches ( they, in their unrotten state). As soon as I appear, the volley of birds takes off and seeks refuge on my neighbor’s persimmon tree where a few persimmons cause the same kind of assembly – blackbirds, mainly, although much smaller birds also find their way to a peck or two. For an animal equipped with a beak, the eating of an apple (or of a persimmon) doesn’t involve large or small gulps. Reason for which these fruits have been part of the daily food supply for a good fifteen or so birds in the past few weeks. They all seem to be pulling through quite well without any State telling them what to do or how to do it. As Vinciane Despret writes in Habiter en oiseau, for birds, it’s all about territory, not Statehood: “Setting up a territory means creating modes of attention.” Birds are attentive to one another. Fights leading to wounds or death are rarities.
I’m not sure our “Statesmen” are smarter than the blackbirds and chickadees taking turns feeding off two apples in my back yard, and a few persimmons on my neighbor’s tree.