
Je ne crois pas que le président du Centre Primo Levi m’en voudrait s’il apprenait que j’ai reproduit ici (et traduit en anglais) son édito dans le Mémoires de décembre 2020. Question qu’au moins une poignée d’humains de plus y ait accès et, qui sait, choisisse de contribuer quelques sous au Centre.
édito
Et pourtant elle tourne
La terre tourne autour du soleil et l’humanité tourne autour de la terre.
Elle tourne pour se faire une place au soleil. Le mouvement et la lumière ensemble, sont les sources du vivant.
Ainsi, les populations qui quittent un lieu pour un autre participent au mouvement perpétuel du vivant: battements, circulation, échanges, régénération, cicatrisation, ces mouvements sont la condition sine qua non de la vie humaine sur la terre.
Cette vérité première que la terre tourne autour du soleil, il aura fallu des siècles pour qu’elle soit établie, que la société l’accepte et l’intègre dans son système de pensée.
Car c’est une autre vérité qui avait été gravée dans le marbre, un dogme qu’il n’était pas permis de contester, sous peine de procès pour hérésie, sous peine de mort.
Pourtant, malgré les dogmes et les interdits la terre tournait quand même.
Puis la lucidité et le progrès ont fait leur oeuvre, lumière et mouvement.
Aujourd’hui, cette vérité toute aussi fondamentale, que l’humanité est par nature migrante et ne cesse de tourner autour de la terre, l’acceptera-t-on ?
N’y a-t-il pas, comme du temps de Galilée, une croyance très forte, pétrie de dogmes politiques qui bien souvent empruntent au religieux, que l’homme aurait vocation à rester immobile, parqué à l’intérieur de frontières et de cultures, présentées comme éternelles et intangibles ?
N’a-t-on pas mis dans la tête d’une majorité de citoyens que l’humanité devrait rester figée les deux pieds dans la glaise idéale du pays natal, que tout mouvement serait une anomalie, un accident de l’histoire, un échec, une erreur qu’il faudrait à tout prix réparer, une hérésie qu’il faudrait juger et condamner ?
Combien de litres d’encre ont coulé pour écrire des lois, bâtir des digues de papier, combien de paroles aussi malveillantes qu’inutiles ont-elles été prononcées, combien de murs, combien de “dispositifs”, combien d’acronymes abscons, pour tenter en vain d’arrêter le mouvement de l’humanité vivante ?
Cette politique est impossible car elle nie ce qui fait la vitalité même de l’être humain: son besoin d’aller, d’aller vers la lumière. Cette politique est inhumaine car elle ne repose pas sur une observation lucide et honnête du vivant.
Cette politique est indigne car elle maltraite les uns et abaisse les autres.
Cette politique est violente, elle fait des milliers de morts, et blesse grièvement le corps et l’esprit de dizaines de millions de personnes dans le monde chaque année.
Ces idées impossibles, inhumaines, indignes, violentes sont des idées de mort, des idées mortes car elles vont contre la nature humaine, contre le vivant.
L’immobilité c’est la mort ; le vivant, lui, bouge tout le temps : d’un pays à l’autre, d’un village à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’une famille à l’autre, d’une religion à l’autre, d’une idée à l’autre, d’un sexe à l’autre. Depuis toujours il fait cette révolution qui fait son évolution.
Ce numéro de Mémoires nous ramène à un geste simple, primordial, salutaire : l’observation du vivant, de la nature, de la nature humaine.
C’est ce geste qui doit inspirer le soin mais aussi la politique.
Regardons le corps humain : il ne se contente pas de réguler des flux, il harmonise les échanges et favorise la circulation, il ne souffle pas le chaud et le froid, il cherche la bonne température, il veut éviter la douleur, il répare les blessures, il est dans une stratégie de bien-être permanent, il cherche l’équilibre dans le mouvement, il s’adapte et apprend, il fertilise, il cherche le bon état d’esprit, il a une bonne nature.
Et quand tout va bien, il est joyeux et se met à danser.
Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi
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I don’t think the President of the Primo Levi Center will be upset if he learns I published (and translated) here his editorial from the December 2020 issue of Mémoires. So that at least a handful of other humans might have access to it and, who knows, choose to contribute a few pennies to the Center.
And yet it revolves
The earth revolves around the sun and humanity revolves around the earth.
It revolves to find its place in the sun. Together, light and movement are the sources of the living.
Thus populations that leave one place for another are part of the perpetual movement of the living: beats, circulation, exchanges, regeneration, healing, these movements are the sine qua non condition of human life on earth.
This policy is shameful, for it mistreats the ones and debases the others.
This policy is violent, it leads to thousands of deaths, and seriously wounds the body and the spirit of tens of millions of people in the world, every year.
This basic truth that the earth revolves around the sun, it will have taken centuries for it to be established, that society accept it and integrate it into its thought system.
For another truth had been set in marble, a dogma no one was allowed to contest under threat of trial for heresy, under risk of death.
Yet, despite dogmas and prohibitions, the earth revolved anyway.
Then lucidity and progress did their work, light and movement.
Today, will we accept a truth just as fundamental, that humanity is by nature migratory and never ceases revolving around the earth?
Might there not be, just as in Galileo’s days, a very strong belief, steeped in political dogmas which often borrow from the religious, according to which man’s vocation is to remain immobile, parked inside frontiers and cultures presented as eternal and intangible?
Have not a majority of citizens been instilled with the notion that humanity should remain set with its two feet in the ideal loam of its native land, that all movement is an anomaly, an historical accident, a failure, an error in need of immediate correction, a heresy to be judged and condemned?
How many liters of ink have been poured out in the writing of laws, the building of paper barriers, how many words as malicious as useless have been spoken, how many walls, how many “devices”, how many abstruse acronyms, in order to vainly attempt to stop the movement of a living humanity?
This is an impossible policy because it negates what constitutes the very vitality of a human being: the need to move, to move toward the light.
This policy is inhuman because it does not rest on a lucid and honest observation of the living.
These impossible inhuman, shameful, violent ideas are ideas of death, dead ideas because they go against human nature, against the living.
Immobility is death; the living are constantly moving: from one country to another, from one village to another, from one century to another, from one family to another, from one religion to another, from one idea to another, from one gender to another. Forever the living have practiced this revolution that amounts to their evolution.
This edition of Mémoires brings us back to a simple, primordial, salutary gesture: the observation of the living, of nature, of human nature.
This is the gesture that must inspire care but also politics.
If we look at the human body: it does not satisfy itself with regulating flows, it harmonizes exchanges and facilitates circulation, it does not blow hot and cold, it seeks the right temperature, it wants to avoid pain, it repairs wounds, it is in a permanent strategy of well-being, it seeks balance through movement, it adapts and learns, it fertilizes, it looks for the right state of mind, it has a good nature.
And when all is well, it is joyous and starts to dance.
Antoine Ricard, President Centre Primo Levi