
Quelques jours avant le reconfinement, et la privation d’accès aux librairies dans la belle France, patrie de la culture, une amie m’a prêté le roman de Sophie Chauveau, Diderot le génie débraillé.* Lecture terminée à quelques heures de la date fatidique du 3 novembre où l’élection présidentielle américaine se joue dans un climat de plus en plus détestable, ce fut un véritable crève-coeur de lire la rencontre de Diderot en 1775 avec un petit jeune homme d’à peine vingt ans, un certain marquis de La Fayette, qui lui donnait à lire un écrit inspiré à Thomas Jefferson par la lecture de Montesquieu. Pour mémoire, à l’époque en France, la censure faisait rage et on pouvait se retrouver en prison (ou mis à mort) pour avoir exprimé des doutes quant à l’existence de l’Être Suprême de qui découlait le pouvoir du roi; quant à critiquer le roi, seul les fous s’y risquaient. Quelques années plus tôt, un jeune d’à peine dix-huit ans était mort suite au “crime” d’avoir omis d’enlever son chapeau au passage d’une procession de la Sainte Croix. Bref, on avait le droit de penser ce qu’on voulait, à condition de n’en rien dire à personne.
Diderot lit. L’enthousiasme s’empare de lui. Ah ! S’il était plus jeune ! L’avenir de la liberté se trouve en Amérique !
« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes — que tous les hommes naissent égaux, que leur Créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »
Évidemment, même à l’époque, ces belles paroles n’incluaient pas les femmes ni les esclaves. Mais on peut dire que le principe était des années-lumière en avance sur le despotisme en Europe.
2 novembre 2020 — Il y a belle lurette que la « démocratie représentative » ne représente que les intérêts des puissants ici et ailleurs; à savoir s’il en fut jamais autrement… Les temps sont au mensonge depuis longtemps. La pandémie ne fait qu’en révéler toute l’étendue.
Raison de plus pour dire, comme le petit garçon dans la pièce d’Evguéni Schwartz: « Papa, mais, il est tout nu ! »** Et d’agir en conséquence, car les droits inaliénables ne valent que dans leur exercice, d’une manière ou d’une autre. Penser à voix haute en fait partie.
*Sophie Chauveau, Diderot le génie débraillé, folio Gallimard 2011
**Evguéni Schwartz, Le Roi nu, traduction André Markowicz, Les solitaires intempestifs, 2003
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A few days before the re-confinement and being deprived of access to book shops here in beautiful France, homeland of culture, a friend lent me a copy of a novel about Diderot by Sophie Chauveau, Diderot, le génie débraillé *(Diderot, the sloppy genius). I finished reading it a few hours before the fateful date of November 3rd when the American presidential election will play out in a detestable climate. It truly felt like a heart-breaker reading about Diderot’s meeting in 1775 with a young man, scarcely 20 years old, by the name of marquis de La Fayette who let him read what Thomas Jefferson had written, inspired by Montesquieu. It is worth remembering that, in those days in France, censorship was rampant and prison (or death) could follow the expression of any doubts concerning the Supreme Being from whom the king’s power was supposed to flow; as for criticizing the king, only fools would even think of it. A few years earlier, a young man, barely eighteen, was put to death for the “crime” of failing to lift his hat when a procession of the Holy Cross went by. In short, you were allowed to think whatever suited you, as long as you did not mention a word to anyone.
Diderot reads. He is seized by enthusiasm. Ah! If only he were younger! The future of liberty resides in America!
“We hold these truths to be self-evident: that all men are created equal; that they are endowed by their Creator with certain inalienable rights; that among these are life, liberty and the pursuit of happiness.”
Of course, even back then, these fine words did not apply to women or to slaves. But one must say that, in terms of principles, they were light-years ahead of the despotism that reigned all over Europe.
November 2 2020 – It’s been donkeys’ years since “representative democracy” has represented anything other than the interests of the powerful; if ever it represented anything else…Lying times have been going on for a long time. The pandemic is only serving to reveal this.
More’s the reason to cry out, like the little boy in Evgueni Schwartz’ play: “But daddy, the king is stark naked!”** And to act accordingly, because inalienable rights are only useful when they are exercised, one way or another. Thinking out loud being one of them.
*Sophie Chauveau, Diderot, le génie débraillé, folio Gallimard 2011
**Evgueni Schwartz, Le roi nu, translated by André Markowicz, Les Solitaires Intempestifs, 2003