
Résilience –
C’était à Montréal, il y a près de cinquante ans de cela, déjà. Je participais à l’une des premières actions de soutien du mouvement local de libération des femmes à une grève dans une buanderie où les femmes s’occupaient de la lessive de certains hôpitaux et cliniques. Salaires dérisoires, atmosphère d’une humidité quasi-irrespirable, attitude méprisante de la direction, elles étaient bien contentes (et étonnées) de se découvrir des appuis. Et nous, petites bourgeoises effarouchées et convaincues du pouvoir suprême des mots, nous produisions des tracts, des appels, des analyses. Le patron n’en avait cure, la plupart des braves montréalais non plus. Elles durent se plier à la poursuite de conditions de travail ignobles pour des cacahuètes. Ce fut une leçon cruelle dans le pouvoir tout relatif des mots lorsqu’ils butent contre des esprits possédés par une seule obsession: la marge de profit, ou le confort bien relatif de l’indifférence.
Ce souvenir me revient en lisant l’article dans Médiapart concernant les “premières lignes” dans la bataille contre le coronavirus. À l’ouest, rien de nouveau, et à l’est non plus, la majorité des services de soin de base – médicaux, alimentaires, entretiens – se conjugue au féminin. Le “substrat” n’est-ce pas, là où ni le pouvoir des mots, des médicaments, des aliments ou des produits de nettoyage ne peuvent avoir le moindre effet s’ils ne sont pas administrés ponctuellement, régulièrement et sans attendre que ceux que nous appelions les “gros parleurs, petits faiseurs” aient même fini de se râcler la gorge avant l’envolée lyrique suivante.
Il ne suffira pas de dire que “rien ne sera comme avant” si le système économique (et la civilisation qui en découle) demeure cadenassé sur le “there is no alternative” du capitalisme, qu’il s’attribue le petit nom qu’il voudra et qui se résume à l’exploitation de la force de travail de la majorité afin de nourrir le porte-feuille d’actions d’une minorité.
Je suis nulle = zéro lorsqu’il s’agit de comprendre le système monétaire actuel. Lorsque je lis qu’un Etat rachetant sa propre dette peut se permettre ainsi de la tripler sans problème (mais ne peut pas produire miraculeusement les besoins de première nécessité s’il n’y a même pas de travailleurs pour surveiller les robots), on entre dans des domaines d’un mysticisme transcendental que je suis trop simplette pour comprendre.
Et, oui, l’illustration du jour est amusante. Ce qui m’a donné envie de l’utiliser l’est beaucoup moins: des familles (les mêmes auxquelles on a coupé un 5€ mensuel sur l’aide au logement) entassées à six ou à huit dans des T-2 ou des T-3. Des tours d’habitation de douze étages privés d’ascenseurs. Des gens privés d’aide parce qu’ils ou elles étaient à quelques heures de remplir les conditions nécessaire pour faire une demande d’assurance-chômage. Je continue ?
La réalité quotidienne de millions de personnes dont on vante la “résilience” (quand on ne les condamne pas pour avoir ‘péter un plomb’.) Chargez la bête, allez, elle est résistante. Et gentille, en plus.
Alors, que Monsieur Arnault ou tout autre milliardaire annonce renoncer à une partie de son salaire annuel, franchement, je trouve ça aussi indécent que la piécette larguée au miséreux (devant caméra, il va sans dire). La “pompe à fric” pour produire le “pognon de dingue”, pour jeter des “Canadair de fric” sur certains et des gouttelettes de centimes sur d’autres? Non, vraiment il n’y a pas de quoi se féliciter, et les phrases ampoulées des uns ne rachèteront jamais le quotidien insupportable imposé aux ‘résilientes’ et aux ‘résilients’ de France, de Navarre et d’ailleurs.
Ces mots feront-ils la moindre différence ? Non, si ce n’est de dégager de l’espace dans ma propre tête, ce qui n’est pas rien vu que ma tête et moi passons beaucoup de temps ensemble, ces jours-ci.
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Et puis, tiens, parlant d’escargots, comme le hasard fait bien les choses parfois…
Resilience –
It was in Montreal, almost fifty years ago already. I was participating in one of the first solidarity campaigns of a local women’s liberation movement to a strike in a commercial laundry where women handled the needs of several clinics and hospitals. Measly salaries, an atmosphere so drenched in humidity as to be almost unbreathable, contemptuous attitude from the boss, they were quite happy (and surprised) to find they had support. And we, easily affrighted little bourgeoises, still convinced of the supreme power of words, we produced flyers, appeals, analyses. The boss couldn’t have cared less, and the brave and hardy Montrealers neither. The women had to accept continuing to work for peanuts in ignoble conditions. It provided a cruel lesson in the oh-so relative power of words when they bump up against minds thoroughly possessed by one thing only: the profit margin or the most relative comfort of indifference.
This recollection came back to me as I was reading an article on Médiapart concerning the “front lines’ in the battle against the coronavirus. Nothing new under the sun, neither East nor West, the majority of services dealing with basic needs – medical, food-wise, cleaning – are conjugated in the feminine. The “substrate” as they say, where neither the power of words, of medicines, of food stuffs or of cleaning products can have the slightest effect if they are not administered punctually, regularly and without waiting for those we called ‘big talkers, little doers” to finish clearing their throats for their next episode of waxing lyrical.
Saying “nothing will be as it was before” won’t be enough if the economic system (and the civilization that flows from it) remains locked into capitalism’s “there is no alternative”, under whatever nickname it may choose. It simply boils down to exploiting the labor force of the majority in order to feed the portfolio of shares for the minority.
I am hopeless = zero when it comes to understanding the current monetary system. When I read that a State can buy back its own debt, thus allowing it to triple said debt with no problem (but cannot as miraculously produce basic necessities if there are not even enough workers to mind over the robots), we enter into domains of a transcendental mysticism I’m too dumb to follow.
And, yes, today’s illustration is amusing. Much less is what made me want to use it: families (the same ones to whom the State reduced rental aid by 5€ every month), counting six or eight people crammed into two or three-room apartments. Low rental housing twelve storeys high, deprived of elevators. People denied aid because they were a few hours short of the required conditions to apply for unemployment insurance. Need I say more?
The daily reality of millions of people whose ‘resilience’ is so praised (when they are not condemned for having ‘lost it’.) Load up the beast, she’s a hardy one. And sweet, too.
So, that a Monsieur Arnault or any other billionaire should announce he is forfeiting a part of his annual salary, frankly, I find as indecent as the dime thrown at the beggar (in front of cameras, this goes without saying). The “money pump” producing “crazy amounts of moolah” to throw “Canadairs full of dough” on some and dewdrops of centimes on others? No, really, I see no reason for self-congratulations, and the pompous phrases of some will not compensate for the unbearable daily life imposed on the “resilients” of France, Navarre and elsewhere.
Will these words make any difference? No, except for clearing the air inside my own head which is already something since my head and I are spending a lot of time together these days.
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Oh and here, speaking of snails, happy coincidences occur at times…