
Le progrès –
Ah, le progrès. Tant dans son étymologie que dans ses définitions, c’est un mot qui accumule les qualités, comme un premier de classe accumule les prix. Evidemment, il en fait tiquer plusieurs mais ces attaques n’ont pas encore entamé sa belle image au dictionnaire, ni dans les discours des hommes politiques. Avec, parfois, des résultats inattendus, par exemple, lorsqu’un homme politique canadien en vantant les louanges de son parti si-tan-progressiste et emporté par sa fièvre électorale s’écria: “Le pays est au bord du gouffre” (à cause de son adversaire). “Ensemble, faisons un pas en avant !”
Il n’empêche qu’il n’avait pas tort. Quand on voit les saccages provoqués par l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, le “progrès” n’est pas joli à voir.
Et puis, cette notion du mouvement de la civilisation dans son ensemble engagée dans un ascension constante vers un idéal pose de sérieux problèmes que Walter Benjamin évoquait dans un extrait puissant de son essai Sur le concept d’histoire consacré à la peinture de Paul Klee intitulé Angelus Novus.
Mais c’est à un autre extrait de ce même essai que je songe ici. Celui où il écrit: “La tradition des opprimés nous enseigne que “l’état d’exception” dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons parvenir à une conception de l’histoire qui rende compte de cette situation. Nous découvrirons alors que notre tâche consiste à instaurer le véritable état d’exception; et nous consoliderons ainsi notre position dans la lutte contre le fascisme. Celui-ci garde au contraire toutes ses chances, face à des adversaires qui s’opposent à lui au nom du progrès, compris comme une norme historique. – S’effarer que les événements que nous vivons soient “encore” possibles…c’est marquer un étonnement qui n’a rien de philosophique. Un tel étonnement ne mène à aucune connaissance, si ce n’est à comprendre que la conception de l’histoire d’où il découle n’est pas tenable.”
La conception d’où découle la version de l’histoire toujours en “progrès” grâce à la spoliation des ressources et des personnes n’est pas tenable. On le sait. Il s’agit alors d’agir en conséquence et de mettre de côté les mots-hochets que nous tendent ceux qui ont intérêt à bloquer la pensée. Des mots tel que le “progrès” conçu comme la poursuite de la destruction du monde matériel et de ses habitants, humains et autres.
Evidemment, ça nécessite aussi de mettre de côté, au moins de temps en temps, un autre mot-hochet et ses créations – le fameux “distraction“.
Progress –
Ah, progress. In its etymology as well as in its definitions, this is a word that accumulates qualities the way the top student garners all the prizes. Of course, it causes a few to wince but their attacks have yet to touch its fine image in dictionaries or in politicians’ speeches. With unexpected results at times, for example when a Canadian politician, boasting about the qualities of his oh-so-progressive party cried out: “The country is on the brink of a void (because of his opponent). Together, let’s take a step forward!”
He had a point, nonetheless. When you look at the destruction caused by the exploitation of oil sands in Alberta, “progress” is not a pretty sight.
Also, this notion of civilization as a general movement in a constant rise toward an ideal raises serious problems that Walter Benjamin evoked in a powerful excerpt from his essay Theses on the Philosophy of History devoted to a painting by Paul Klee titled Angelus Novus.
But I’m thinking here of another excerpt from this same essay. The one where he writes: “The tradition of the oppressed teaches us that “the state of exception” in which we are living is the rule. We must reach a conception of history that accounts for this situation. We will then discover that our task consists in establishing the true state of exception; and we will thus consolidate our position in the struggle against fascism. This latter maintains all its chances on the contrary when faced by adversaries that oppose it in the name of progress, understood as a historical norm. To be aghast over the fact that the events we are living should “still” be possible …displays an astonishment that has nothing philosophical to it. Such an astonishment does not lead to any knowledge other than understanding that the conception of history from which it ensues is untenable.”
Indeed the concept from which is derived a version of history constantly in “progress” thanks to the spoliation of resources and humans is untenable. We know it. In which case we must act as a consequence and set aside rattle-words handed to us by the ones whose interest it is to block thought processes. Words such as “progress” seen as the further destruction of the physical world and of its inhabitants, humans or not.
Of course, this calls for the setting aside, at least from time to time, of another rattle-word and its productions – the famous “distraction“.