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Concernant les aspects du livre de Grégoire Chamayou, Théorie du drone qui ont peu à voir avec la fiction et tout à voir avec le visage changeant de la guerre: je passe mon temps à souligner et à réfléchir, sans encore avoir atteint le point où je peux faire un résumé succinct du tout.
Je n’ai jamais été une fervente de la guerre (et ne le serai jamais,) mais, dans son principe, il y avait toujours non seulement la mission de tuer ‘l’ennemi’ mais le risque de se faire tuer en retour. Avec les drones, le risque de se faire tuer est réduit à zéro. Pendant votre quart de 9-17h ou de 17h à 1h ou de 1h à 9h, vous pistez des gens qui se trouvent à des milliers de kilomètres, tirez des probabilités concernant leurs activités et si vos soupçons vous donnent une probabilité de 70% que vous avez affaire à un terroriste, vous le faites exploser ainsi que tout ce qui se trouve dans un rayon de 15 mètres autour de lui.
Il ne s’agit plus d’être suffisamment courageux pour courir le risque de mourir pour sa patrie. Ici, le mot Courage = tuer des gens au loin que votre patron vous désigne comme des ennemis potentiels. En d’autres mots, il vous faut le courage de l’assassin. Courage qui peut être nécessaire (ou pas) lorsqu’il s’agit d’assassiner quelqu’un de près, et de devoir faire l’expérience des désagréments que cela implique. Mais totalement inconséquent lorsqu’il s’agit d’appuyer sur un bouton qui détruit des corps au loin, très loin.
Avant que l’armée ne commence à tenter d’utiliser le syndrome post-traumatique comme argument pour justifier les horreurs qu’éprouveraient les opérateurs de drones et le terrible courage de soldat dont ils devaient faire preuve, les commentaires spontanés de ces dit opérateurs ressemblaient à ceci:
“Oh, c’est un vrai régal pour un joueur.”
“C’est comme jouer au jeu vidéo “Civilisation” où vous commandez des unités et des corps d’armée dans la bataille.”
“C’est comme un jeu vidéo. Ça peut devenir un peu sanguinaire, mais c’est cool, putain.”
Maintenant que l’armée américaine a invité les opérateurs de drones à se la boucler sur comment c’est “cool” de commettre des vrais meurtres sans plus de conséquences pour le tueur que ceux d’un jeu vidéo, ils se plaignent surtout des effets dérangeants du travail à des heures irrégulières et de la transition constante d’une zone de guerre à une zone de paix. Un travailleur dans une urgence hospitalière pourrait se plaindre de la même façon – sauf pour ce qui est du fait d’appuyer sur un bouton pour l’effet Badaboum.
Chez ces opérateurs, le drone produit l’équivalent de ce que la mafia réussit avec ses exécutants de basses oeuvres: cela crée des tueurs au boulot qui se transforment en bon papa à la maison, emmenant le fiston à sa pratique de football. Tout ça dans la même journée, jour après jour après jour.
Il paraîtrait que les grands cheufs de l’Armée décrivent les drones comme une arme “humanitaire.” Ben oui: ils sauvent des vies – celles des tueurs.
Justifier la guerre. Les arguments ont tendance à mener dans des culs-de-sac où les mots perdent tout leur sens. Ça n’accroît pas le potentiel d’intelligence chez les humains. En tant qu’espèce, nous semblons souffrir déjà d’un déficit sévère en la matière.
Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La fabrique éditions, 2013
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For those aspects of Chamayou’s Théorie du drone that have little to do with fiction, and a lot to do with the reality of the changing face of warfare: I keep underlining and pondering along. Haven’t reached the point where I can summarize the overall sense of it all.
While I’ve never been a proponent of war (and never will be), the principle of war included not only the mission to kill the ‘enemy’ but also the risk of being killed in the process. With drones, the risk of being killed is totally removed from the equation Your 9 to 5 or your 5 PM to 1 AM or 1 AM to 9 AM job is to track people thousands of kilometers away, make assumptions about their activities and, if your suspicions add up to a 70% likelihood you’re dealing with a terrorist, you explode him and everything else in a 15 meter radius.
It’s no longer a question of being brave enough to risk dying for your country. Courage = killing people far away your boss designates as a potential enemy. In other words, you need courage to be an assassin. Which may or may not be true if assassinating implies getting in close and dealing with the entire unpleasant experience. But is definitely not true when pressing a button that disposes of bodies far, far away.
Before the Army began attempting to use the PTSD argument on the terrible time drone operators had of it, spontaneous comments from said drone operators included the following:
“Oh, it’s a real treat for a player.”
“It’s like playing the video game “Civilization” where you’re in command of units and army corps in the battle.”
“It’s a bit like a video game. It can get a bit bloody, but damn, it’s cool.”
Now that American Army drone operators are invited to shut up about the coolness of real killings like those on a video game, they mostly complain about disruptions caused by shift work and the daily dislocation of going from a war zone to a peace zone. Basically, a worker in a hospital emergency service could voice the same complaints – except for the part about pushing the button for the Kaboom effect over there.
Thus, basically creating the equivalent of what the Mafia does to its foot soldiers: creating guys whose job is to kill and who are good daddies on the homefront, taking their kid to football practice. All in the same day, over and over and over again.
Apparently, the big bosses in the Army describe drones as “humanitarian” weapons. Sure: they save lives – those of the killers.
Justifying war. The arguments tend to carry you into blind alleys where words lose all their meaning. This doesn’t increase the potential for intelligence in humans. As a species, we seem to be suffering already from a severe deficit in this department.