
Avanti !-
Hier matin, après des prises de sang routinières en laboratoire, je me suis arrêtée dans un café que je ne fréquente pas habituellement, pour y briser mon jeûne avec un café crème. Malgré l’heure matinale, une dizaine de retraités étaient agglutinés au bar, à boire le café mais, surtout, à commenter ce qui à mes oreilles avait le son et la cadence d’un échange habituel, aux pauses et aux reprises bien connues de tous. Ce qui m’a frappée (mis à part la mauvaise qualité du café et son prix), c’est l’air triste et défait qu’avaient tous ces hommes, citoyens de l’un des pays les plus riches du monde, occupés à ressasser la mauvaise performance d’une équipe de rugby par rapport à une autre et l’état des routes entre tel village et tel autre. Nul doute que ceux d’entre eux qui n’étaient pas veufs, retarderaient jusqu’à la dernière extrémité la rentrée au foyer où leur femme leur servirait l’ordinaire dans un silence de ruminants tandis que les veufs, eux, s’ouvriraient une boîte de thon devant la télé. Nul doute non plus que si j’avais eu l’idée d’évoquer la performance du petit président français en Chine, tous l’auraient descendu en flammes. Devant une étrangère, ils n’auraient pas évoqué directement leur faible espoir dans le parti d’extrême droite (ni leurs boutades habituelles à l’endroit des deux ou trois ‘attardés’ parmi eux toujours attachés à une certaine idée de la gauche). Evoquer autre chose que l’état de la France n’aurait servi qu’à ré-activer les glandes salivaires autour du brouet habituel – que resservait la télé d’ailleurs entre blocs de publicités dans lesquels des hommes et des femmes aux sourires ripolinés célébraient leur bonheur de rouler dans une voiture (vous savez, celle qui roule toujours dans des paysages sublimes et sur des routes dégagées) ou les avantages incroyables de leur nouvel appareil auditif. Comme si la France existait dans une bulle, entourée d’autres bulles tout aussi imperméables les unes que les autres où les gens s’agglutinent en se disant que tous les problèmes proviennent des autres dans la bulle d’à côté…
Je sais qu’il existe quelque part un pays qui célèbre le PIB en tant que potentiel individuel du bonheur, mais je n’y crois pas trop non plus.
Chose certaine, entre la sacro-sainte “croissance économique” des profiteurs (dits “premiers de cordée” par le petit président*) d’un côté, et la mine des pauvres vieux amochés par des années de labeur sans signification, on se demande pourquoi la nature a choisi de suivre ce cul-de sac. Je suppose que la nature a tellement d’autres numéros en réserve et tellement de temps dans lequel les essayer qu’elle s’en fout un peu, d’une façon ou d’une autre.
*mon commentaire ne s’applique pas à sa taille physique, quelle qu’elle soit, mais à sa très haute opinion de lui-même comparée aux perspectives mesquines qu’il propose aux autres, et pour l’immédiat et pour l’avenir.
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Après quoi j’ai croisé une femme que je n’avais pas vue depuis un an et qui travaille toujours dans le domaine de l’accueil aux jeunes étrangers qui arrivent en France sans notion de ce qui les attend, et mon moral y a repris une bonne bouffée d’oxygène.
Illustration: Est-il vraiment nécessaire de foncer droit dans les murs pour ensuite se dire comme des gamins: “oh !…cassé…”
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Avanti! –
Yesterday morning, following routine blood tests at the lab, I stopped for a coffee in a café I don’t usually patronize in order to break my fast with a café crème. Despite the early hour, ten or so pensionners were huddled around the bar, drinking their coffee but mostly, commenting in what sounded to my ears like the sound and the rhythm of a usual exchange, with well-known pauses and recoveries. What struck me (apart from the lousy coffee and its price) was these men’s appearance, both sad and slightly haggard, these citizens of one of the richest countries in the world, busy nattering about the poor performance of one rugby team over another, or the lousy condition of the roads between such and such a village and such and such another. No doubt those who were not widowers would put off until the last moment their return to the home where “the wife” would serve up the usual in a silence worthy of cud chewers, while the widowers would snap open a tin of tuna in front of the TV. No doubt either that had I evoked the performance of the little French president in China, they would all have lambasted him. In front of a stranger, they would not have directly evoked their glimmering if somewhat tired hopes in the right-wing party (and their usual jokes for the two or three ‘dawdlers’ among them, still faithful to a certain notion of the Left). Mentioning the state of France among other topics would have only served to re-activate the salivary glands around the usual brew – being served up at that very moment on TV between blocks of ads in which men and women with painted on smiles celebrated the happiness of driving down the road (you know the one that goes through sublime landscapes without another vehicle in sight) or the tremendous advantages offered by the latest hearing aid. As if France existed in a bubble, surrounded by other waterproof bubbles where people huddle and pretend the problems all flow from the other guys in the bubble next door…
I know there is a country somewhere that celebrates the Gross National Happiness Average, but I don’t believe in that too much either. What is without doubt is that between the sacrosanct “economic growth” of the profiteers (also known by the little president* as sort of sherpas, “leaders of the mountain climbers”) one one side, and old men messed up by years of meaningless labor on the other, one has to wonder why nature chose to follow such a dead end. I guess nature has so many other acts up its sleeve and so much time in which to try them out that it doesn’t really care, one way or another.
*my comment isn’t about his physical height whatever it may be but about his exceedingly high opinion of himself as compared to what he offers others as perspectives for the now and for the future.
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After which I crossed paths with a woman I hadn’t seen in a year and who still works with young strangers landing unaware in France, and my morale took a big shot of fresh air.
Illustration: Must we really head straight into the walls only to then say, like kids: “Oh…bwoken…”