Écrire, traduire/Writing, translating

DSCN4423

Écrire, traduire –

Dans les premières pages du roman Le refus* dans lequel Kertész appelle le protagoniste “le vieil homme” (et fait l’usage le plus généreux  imaginable de la parenthèse)  le “vieil homme” décrit une pierre utilisée en guise de presse-papier. Une pierre grise, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qu’on ne peut distinguer de toute autre. Elle ré-apparaît sur la dernière page du roman, bien qu’elle n’y soit pas nommée directement. Mais la voilà quand même: le rocher que Sisyphe a constamment poussé vers le haut de la colline? Apparemment, pour que l’exercice soit sans fin, il a fallu que Sisyphe en trouve un autre, car le rocher initial n’avait ni sa résistance, ni sa persistance.   À force de débouler à travers les âges, il a perdu des morceaux, jusqu’à n’être plus…qu’un morceau de pierre grise juste de la bonne taille pour servir de presse-papier à un dossier rempli d’idées pour des nouvelles et des romans, idées qui n’ont jamais été menées à terme.

Quelles qu’en soient les rigueurs ou l’immense chagrin, aucune de mes expériences de vie ne s’approche de ce que Kertész et des milliers d’autres ont dû subir dans les camps de concentration du troisième Reich, ni de ce que subissent quotidiennement hommes, femmes, enfants et bêtes dans les zones de guerre à travers le monde, au moment où j’écris ces lignes.

Il n’en demeure pas moins que ce que Kertész écrit au sujet du travail d’écriture est ce qui se rapproche le plus de mon propre point de vue à ce sujet.

C’est-à-dire?  Que même si, pour plusieurs,  écrire des nouvelles et des romans c’est avant tout, par désir de célébrité, de fortune, d’amour, de reconnaissance ou d’un peu de tout cela à la fois, pour d’autres le processus est davantage lié à l’impulsion vers une exploration intérieure de ces pensées et de ces images qui échappent constamment à la capture. Pour un de mes personnages, un jour, cela s’est traduit par une nuée de lucioles dont les clignotements composaient des messages énigmatiques, l’entraînant de plus en plus loin en forêt. Pour moi, en ce moment, les pensées et les images se terrent, surgissent en masse dans des rêves qui s’effacent dès que j’ouvre les yeux.

Alors, en attendant le jour où je réussirai à nouveau à attraper ne serait-ce que le souffle produit par un mouvement d’aile  de moucheron venu du monde des rêves, je traduis les mots des autres. Du moins, ceux qui m’intéressent ou qui agissent en sonde et en appels.

*Imre Kerész, Le refus, traduit par Natalia Zaremba-Huzsvai en collaboration avec Charles Zaremba, Babel, Actes Sud 2001

Writing, translating –

In the opening pages of the novel titled Fiasco*   in which the protagonist Kertész calls “the old man”  (and in which he makes the most generous use imaginable of the parenthesis), the “old man” also describes a piece of rock, used as a paper holder. Just a plain grey rock, with nothing to distinguish it from any other.

On the final page of the novel, it reappears, although not mentioned directly as such. But there it is anyway: the boulder Sisyphus endlessly rolled back up the hill?  Apparently, for this to be endless, Sisyphus must have found another boulder because the object itself did not have his resistance and persistence. All that tumbling got the better of it, with chips knocked off over the ages, until all that was left…was a piece of grey rock just the right size to hold down a file filled with ideas for stories and novels, ideas that never came to fruition.

No matter how harsh, no matter how heart-breaking, not a single experience in my life comes close to what Kertész and millions of others endured in the concentration camps set up by the Third Reich, or to the war horrors imposed on men, women, children and beasts across the world, as I write these lines.

But, for all that, what Kertész has to say about the writing process – in this novel, specifically, but in others also – rings the closest to my own views.

Which is to say? That even if, for some, writing novels and stories may be, first and foremost, about reaching out for fame, fortune, love or recognition, or a bit of all of these, for others,  the process has more to do with a need to explore those inner thoughts and images that keep eluding capture.  For one of my characters, once, this translated into a cloud of fireflies whose twinkles made up enigmatic messages, drawing him deeper and deeper into the forest. These days, thoughts and images burrow in dreams that erase themselves the minute I open my eyes.

So, while waiting for the day where I’ll manage to catch something, be it only the flutter of air sent up from dreamland by the tip of the wing of a midge, I translate the words of others. At least, those I find interesting or that act as calls or soundings.

*Imre Kertész, Fiasco, translated by Tim Wilkinson, Melville House, 2011

 

 

 

 

 

 

 

Leave a comment