Lire Kertész – pourquoi ?/Why read Kertész?

Lire Kertész – pourquoi ? –

Je ne sais pas laquelle des deux notions est la pire:  celle selon laquelle une personne aimée s’est convaincue de mon caractère destructeur et abusif, tel que construit dans sa propre tête (et largement diffusé depuis), ou la notion dans laquelle elle sait que ses mots étaient destructeurs et disproportionnés mais ne peut pas l’admettre, de peur de perdre la face et les amis que son récit lui a amenés.  D’une façon ou d’une autre, quelque chose est détruit et je ne vois pas ce que je pourrais faire pour sauver ce que la relation avait de positif. Si ce n’est de continuer à accorder de la valeur au positif, à ma manière, quoi qu’il advienne.

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Lire Kertész  – mais pourquoi certains (presque tous) demandent. L’Holocauste s’est produite “il y a longtemps” (en terme de calculs sur la durée d’une vie humaine), les problèmes sont autres maintenant, et cetera.

Comme si la vie consistait à se tenir à jour des dernières informations, point barre, y alternant des moments d’indignation et de découragement.

Je ne suis pas d’accord, évidemment.

En voyant l’évolution des événements humains, son jugement selon lequel nous vivons dans une culture post-Auschwitz est radicalement exact. Et, exactement comme il arrive avec les soi-disant “secrets de famille”, les origines de décisions et d’attitudes demeurent non avouées.

“Et pourtant…” –  Parlant des relations humaines – y compris l’amour – il écrit:  “Et pourtant quelque chose existe, il arrive malgré tout qu’un acte s’épanouisse. Mais toujours de manière inattendue et généralement pas là  où on l’attendait, pas de la part de la personne en qui on avait placé  toute sa confiance.”*

*Imre Kertész, Sauvegarde Journal 2001-2003, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Actes Sud, 2012

Les deux existent – le mal, dans sa forme radicale et dans sa forme veule, et le bien. Dans des proportions sérieusement inégales, la stupidité ajoutant son poids en faveur du mal – en nous-mêmes et chez les autres. Mais le bien existe. Je préfère y mettre mes énergies, parfaitement consciente du fait qu’il s’agit d’un choix perdant (à 73 ans, je ne m’attends vraiment pas à assister à l’aube d’un monde meilleur). Je ne peux pas ignorer la présence du mal, et ne voit pas d’intérêt à le faire. Mais je ne peux pas vivre du tout si je le considère comme le fin mot de l’histoire.

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Mais, de toutes les voix disponibles pour nous en parler, à nous les enfants et les petits-enfants de ceux qui ont eu à vivre cette période, pourquoi choisir la voix de Kertész? Parce qu’il évite la sentimentalité, de façon radicale. Il n’y a pas un seul élément de l’expérience d’Auschwitz qui puisse donner naissance à la sentimentalité, et pourtant, cette dernière sert souvent de position de repli pour éviter la noirceur totale qu’elle révèle, ce que Conrad appelait “le cœur des ténèbres”. Bien qu’il nous faille le savoir, tout est fait pour faire semblant que “c’était à cette époque, un moment exceptionnel, nous sommes maintenant et nous ne sommes plus salis par cela.”  Exactement la même attitude qu’avec ces secrets de famille honteux que tous tentent d’ignorer (ou mésinterprètent afin d’en tirer un matériau ‘intéressant’.)

Lire Kertész. Pour tenter de rester honnête.

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Ferai-je d’autres tentatives d’écrire de la fiction? Je ne sais pas. Le jury ne s’est pas encore prononcé. Ces jours-ci, les pensée, les souvenirs et les émotions “se déplacent” à l’intérieur de ce que j’appelle ‘je’. Je ne sais laquelle des voix s’exprimera par l’écriture (en autant qu’elle le fasse).

Why read Kertész? –

I don’t know which of the two notions is the worst: the one in which someone I love has convinced herself that I’m a destructive and abusive personality, as built up in her own mind (and widely discussed since), or the notion that somewhere, somehow, she knows her words were destructive and out of proportion but can’t admit it, for fear of losing face and of losing friends that her tale attracted. One way or another, something is destroyed and I don’t see what I could do to save what was positive in the relationship. Other than by continuing to value the positive, no matter what happens.

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Reading Kertész  – but why some (almost all) ask. The Holocaust happened ‘a long time ago’ (in terms of a human life span), our current problems are different, etc.  As if life consisted in staying abreast of current news, period, alternating between moments of indignation and despondency.

I don’t agree, obviously.

Seeing how human events are evolving, Kertész’ appraisal  that we were living in a post-Auschwitz culture is radically correct. And just as happens with so-called ‘family secrets’, the origins of decisions and attitudes remain unacknowledged

“Et pourtant…” – And yet. Speaking of human relationships – love included – he writes: “Et pourtant quelque chose existe, il arrive malgré tout qu’un acte s’épanouisse. Mais toujours de manière inattendue et généralement pas là  où on l’attendait, pas de la part de la personne en qui on avait placé  toute sa confiance.”* (And yet something exists, despite everything it happens that an act flowers. But always in an unexpected way and generally not where we expected it, not from the person in whom we had put all our trust.)

 

*Imre Kertész, Sauvegarde Journal 2001-2003, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Actes Sud, 2012

The two exist – evil, both of the radical and cowardly kind, and  the good. In seriously unbalanced proportions, with stupidity adding its weight to the unbalance in favor of evil – in ourselves as in others. But the good exists. I prefer putting my energies on it, fully aware that it may be a losing proposition (at 73, it certainly won’t take me to the dawning of a better and kinder world). I can’t ignore evil and see no purpose in doing so. But I can’t live at all if I consider it to be the be all and end all.

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But why Kertész, of all the voices available to speak to us, the children and grandchildren of those that lived through that period?

Because he avoids, radically, any pandering with sentimentality. There is not a single element of the Auschwitz experience that can give rise to sentimentality, and yet, it often serves as a fall-back position so as to avoid the total bleakness it reveals  – what Conrad called “the heart of darkness”. Despite the fact we need to know  this, everything is done to pretend ‘”that was then, an exceptional moment, this is now and we are no longer sullied by it”. Exactly the same attitude as with those shameful family secrets everyone attempts to ignore (or misinterprets in order to milk them for their ‘interesting’ potential).

Reading Kertész. An attempt to stay honest.

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Will I make any further attempts at writing fiction? I don’t know. The jury is out on that one. These days, thoughts, memories and feelings are ‘moving around’ inside what I call ‘me’.  Writing-wise, I’m not sure which voice will speak up (if it does).

 

 

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