
Les meilleurs z-amis –
Kamel Daoud est un journaliste algérien qui publie dans Le quotidien d’Oran. Certaines de ses chroniques de 2010 à 2016 furent editées en France sous le titre de Mes Indépendances. *
Aujourd’hui, alors que j’apprends que le gouvernment américain abandonne son allié kurde à son triste sort (grâce à la belle “amitié “flambant neuve entre Trump et Erdogan), je suis en train de lire une chronique de Daoud pour les besoins d’une oeuvre de fiction, mais aussi pour mieux comprendre les “choix” américains sous la direction mafieuse de Trump. Publié le 20 novembre 2015, soit une semaine après l’attaque terroriste à Paris qui fit 130 morts et 413 blessés, la chronique s’intitule: L’Arabie saoudite, un DAESH qui a réussi.
Quelques extraits:
“Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’Etat islamique et l’Arabie Saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie Saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légititime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.
Le wahhabisme, radicalisme messianique né au XVIIIe siècle a l’ieée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, La Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc à l’art, ainsi qu’au corps, à la nudité et à la liberté. L’Arabie Saoudite est un Daesh qui a réussi.
Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant : on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit arabe ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été bibéronnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.
On pourrait contrecarrer: mais l’Arabie Saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité – et aussi, de plus en plus, sa précarité…Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.
Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaînes TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays – Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaînes de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.
…Le DAESH blanc reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce DAESH gris. Ceci est un piège et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire: on dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas des vies.”
Kamel Daoud, Mes Indépendance, Chroniques 2010-2016, Actes Sud, 2017
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Dans le cas de l’abandon des kurdes au sort que leur promet la Turquie, on ne sauvera ni l’un ni les autres.
Best Fwends –
Kamel Daoud is an Algerian journalist published in Le journal d’Oran. Some of his columns from 2010 to 2016 were published in France under the title of Mes Indépendances.
On this day when I learn the US government is abandoning the Kurdish ally to his sorry fate (thanks to the brand new “best fwendship” between Trump and Erdogan), I’m reading a column Daoud published on November 20 2015 (a week after the terrorist attack in Paris where some 130 people died and 413 more were wounded). The title: L’Arabie saoudite, un DAESH qui a réussi (Saudi Arabia, a successful ISIS).I’m re-reading it both for the purpose of my fiction, and also given the “choices” the USA is making in the Middle East under Trump’s goon-like administration.
A few excerpts:
“Black ISIS, white ISIS. The former strangles, kills, stones, hacks off hands, destroys humanity’s heritage, and hates archeology, women and non-Muslim strangers. The latter is cleaner and better dressed, but does the same thing. The Islamic State and Saudi Arabia. In its struggle against terrorisme, Western countries wage war against the one and shake hands with the other. The mechanisms of denial and its cost. One wants to salvage the famous strategic alliance with Saudi Arabia while forgetting that this kingdom rests on another alliance, one with a religious clergy that produces, legitimzes, spreads, preaches and defends wahhabism, the ultra-puritan islamism on which ISIS feeds.
Wahhabism, a messianic radicalism born in the 18th century aims at the restoration of a fantasized Califate based on a desert, a sacred book and two holy places, Mecca and Medina. Its puritanism was born in bloody massacres, and lives on nowadays in a surrealistic approach to women, the prohibition of sacred territory to non-Muslims and a sick relationship to imagery and representation , and therefore to art, as well as to the body, nudity and freedom. Saudi Arabi is a successful ISIS.
The West’s denial concerning this country is striking: this theocracy is saluted as an ally and one must pretend to ignore that it is the main ideological patron of Islamist culture. The new extremist generations in the so-called Arab world were not born Jihadists. They were fed by Fatwa Valley, a kind of Islamist Vatican with a vast industry producing theologians, religious laws, books and aggressive editorial and media policies.
One might answer back: but isn’t Saudi Arabia also a potential ISIS target? Yes, but to insist on this aspect would be to make light of the weight of the links between the reigning family and the religious clergy insuring its stability – and also, its growing precariousness…The Saudi clergy produces the islamism threatening the country, but also insures the legitimacy of the regime.
One has to live in the Arab world to understand the huge transformative power of the religious TV stations acting upon society’s weak links: households, women, rural areas. Islamist culture is now generalized in many countries – Algeria, Morocco, Tunisia, Libya, Egypt, Mali, Mauritania. One finds thousands of newspapers and islamist tv networks (such as Echourouk and Iqra), as well as clergy imposing their unique world view, ranging from tradition to clothing in public spaces, on legal texts and on the rituals of a society they consider contaminated.
…Saudi Arabia’s white Daesh remains an ally of the west on the Middle-Eastern chessboard. It is preferred to Iran, the grey Daesh. This is a trap, and leads through denial to an illusory equilibrium : one denounces Jihadism as the Evil of the century, yet no attention is paid to that which created it and supports it. This allows for face saving, but not for the saving of lives.” – Kamel Daoud
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Neither one nor the other will be saved as relates to the fate Turkey has in store for the Kurds.
(The Guardian has the following to say on the topic of this latest betrayal.)