
Anonymes –
L’appareil photo est en rade. Les gros sous se font trop rares pour y remédier, alors je glane dans ma photothèque, tout en réfléchissant à ce qui m’entoure, ce que je lis et les sentiments que m’inspirent et le virtuel et l’imaginaire.
Par exemple: les liens entre les anonymes d’ici et d’ailleurs. Invisibles, la plupart du temps, et méprisés lorsqu’ils osent s’exprimer. Le mépris allant du silence aux bastonnades, aux membres arrachés; où, ailleurs, aux peines de prison pour avoir eu le malheur de déplaire aux puissants. Quoi d’étonnant alors, si la plupart des anonymes préfèrent le demeurer?
Mais qui dit invisibles ne dit pas nécessairement impuissants.
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Même surmontée d’une énorme publicité pour le “Duty Free” de l’aéroport de Dubai, l’analyse de Peter Pomerantsev dans le New York Times ce matin n’en demeure pas moins pertinente. Quelques extraits en français de Rudy Giuliani welcomes you to Eastern Europe – When truth dissolves, anything is possible.
“La manipulation des médias dans les premières années de Poutine ne cherchait pas à convaincre d’une version fabriquée de la “vérité”. En lieu et place, elle visait à semer le doute et la confusion, en évoquant un monde si rempli de conspirations complexes et imbriquées que le petit minable n’avait aucune chance de s’y retrouver ou d’y effectuer un changement. Au lieu de théories de la conspiration servant uniquement à consolider une idéologie, comme c’était le cas sous le régime communiste, une vision du monde complotiste remplaça l’idéologie comme façon d’appréhender le monde, incitant le public à se méfier de tout et à souhaiter un chef puissant capable de lui faire traverser toute cette noirceur – une tactique aussi commune de nos jours à Washington qu’à Moscou.
“De considérer toutes les règles et les normes comme de vulgaires façades à une vaste conspiration sert aussi à légitimer leur contournement afin de se livrer à une corruption sans limite. Le cynisme implicite dans la pensée complotiste vous rend libres de privilégier ce qu’il vous convient. Comme bien d’autres hommes d’affaires américains, Mr. Trump fut attiré par la Russie dans les années 90 et le début des années 2000, à un moment où les règles – et logiques et financières – furent suspendues. Se libérer des contraintes imposées par les faits va de pair avec le rejet des normes politiques et juridiques, ce qui veut dire entre autres choses pour Mr Trump de transformer son avocat personnel en diplomate privé.”
“Se libérer des contraintes de la légalité et des faits procure une sombre joie que M. Poutine comprend très bien. Au moment de l’annexion de la Crimée, lorsque le président russe s’adressa à l’international sur la télé, il le fit avec un sourire suffisant en affirmant qu’il n’y avait pas de soldats russes sur la péninsule et que les soldats que le monde pouvaient voir n’étaient que des locaux qui s’étaient achetés des uniformes de l’armée russe; il ne s’agissait pas tant d’un mensonge que d’une démonstration qu’il n’avait pas à se soucier des faits et, par extension, des règles concernant le comportement.”
“…l’Occident atteint un stage de développement post-idéologique similaire à celui atteint par la Russie il y a de cela quelques décennies: ‘La guerre froide à divisé la civilisation mondiale en deux formes alternatives, toutes deux promettant au peuple un meilleur avenir’…L’union soviétique a perdu, incontestablement. Mais apparut alors cette étrange utopie occidentale sans alternative, dirigée par des technocrates financiers infaillibles. Puis, le tout s’est effondré…sans idéologie dirigée vers l’avenir, il n’y a aucun but pour le progrès. Plutôt que d’offrir une vision cohérente de l’avenir, on colporte de la nostalgie: on explique le monde, non par des idées mais par des conspirations. Plutôt que d’être un phare d’espérance, on accuse tout le monde d’être aussi corrompu que soi. Dorénavant, nous sommes tous post-soviétiques.”
Tous? Non. Pas plus que nous aspirons “tous” à du “shopping” au “duty free” de Dubai. Mais comme dans la fable de Monsieur de La Fontaine, Les animaux malades de la peste, “ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés”. Alors, à tout le moins, plutôt que de s’épuiser à tenter d’encercler la bête dans ses propres mensonges (qu’elle sécrète intentionnellement), il vaut mieux s’agripper aux faits, et agir en conséquence. Le chemin risque d’être moins évident…y compris et surtout pour les menteurs. Et c’est très bien ainsi.
Anonymous –
The camera is on the blink, money is too scarce to do anything about it, so I’m sorting through old shots while thinking about what surrounds me, what I’m reading, and what feelings the virtual and the imaginary inspire.
For instance, the links between the anonymous here and elsewhere. Invisible, most of the time, and despised when they dare speak up. Contempt ranging from silence to beatings and torn off limbs, or, elsewhere, to prison terms for daring provoke the displeasure of the mighty. Is it any surprise then that most of the anonymous choose to stay that way?
But invisible does not necessarily mean powerless.
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Hovering above a New York Times opinion piece titled “Rudy Giuliani welcomes you to Eastern Europe – When truth dissolves anything is possible” by Peter Pomerantsev: a page-wide ad with a flying woman landing in a shopping center and the title Shop at Dubai Duty Free. The analysis is not less interesting for that. A few excerpts:
“The media manipulation of the early Putin years didn’t try to convince you of a fabricated version of “truth”. Instead it worked by seeding doubt and confusion, evoking a world so full of endlessly intricate conspiracies that you, the little guy, had no chance to work out or change. Instead of conspiracy theories being used to merely buttress an ideology as under Communist rule, a conspiratorial worldview replaced ideology as a way to explain the world, encouraging the public to trust nothing and yearn for a strong leader to guide it through the murk – a tactic that’s as common in Washington these days as in Moscow.
“Seing all rules and norms as mere facades for a vast conspiracy also legitimizes getting around them to exercise unlimited corruption. The cynicism implicit in conspiratorial thinking frees you up to indulge in anything you want. Mr. Trump was, like many American businessmen, attracted to Russia in the 1990s and early 2000s, a time when rules – both logical and financial – were suspended. Throwing off the constraints of factuality goes together with throwing off political and legal norms, which for Mr. Trump means, among other things, turning his private lawyer, Rudolph Giuliani, into a private diplomat.”
“There’s a dark joy in being released from the constraints of legality and factuality, something Mr. Putin grasps well. When the Russian president went on international TV during the annexation of Crimea to smirk and say that there were no Russian soldiers on the peninsula, and that the soldiers the world could see were just locals who had bought Russian military uniforms, he wasn’t so much lying as demonstrating that he doesn’t care at all about facts and by extension, the rules governing his behavior.”
“…the West is reaching a stage of post-ideological development similar to the one Russia reached decades earlier: ‘The Cold War split global civilization into two alternative forms, both of which promised people a better future’…The Soviet Union undoubtedly lost. But then there appeared a strange Western utopia with no alternative, ruled over by economic technocrats who could do no wrong. Then that collapsed. …without an ideology that looks toward the future, there are no goals of progress. Instead of offering a coherent vision for the future, you peddle in nostalgia; you explain the world not through ideas but conspiracies. Instead of being a beacon of hope, you accuse everyrone else of being just as corrupt as you are. We are all post-Soviet now.”
All? No. No more than we “all” aspire to shopping at Dubai’s duty-free. But as in the fable by Monsieur de La Fontaine, The Animals struck by the Plague” ‘not all of them died, but all were affected” . So, at the very least, rather than wasting energy attempting to trap the beast inside its own lies (which it secretes on purpose), it’s best to cling to the facts and act accordingly. The road may be less obvious…including and mainly for the liars. And that’s just as it should be.