Matière à réflexion/Food for thought

Matière à réflexion –

Au détour inattendu d’une conversation banale, quelqu’un me confie son désarroi suite à une querelle familiale qui ne donne aucun signe de se résoudre.  Elle souffre de ne pouvoir rien faire. En pensant à la personne qui a claqué la porte, l’image qui lui vient est celle du membre-fantôme qui continuerait de la hanter.

L’image me paraît des plus justes, d’autant que le sujet ne me laisse pas indifférente.

Nous convenons que l’initative du retour appartient à celui qui est parti; qu’il est impossible de savoir si un tel retour aura lieu, et à quel prix. Et que même si les choses devaient “s’arranger”, les cicatrices, elles, seraient bien réelles et que le temps perdu l’était de façon irrémédiable.

Cela dit, il faut s’occuper l’esprit, au risque de tomber dans un radotage obsessionnel.

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Parmi les choses qui m’occupent ces jours-ci: la traduction des reportages de Zehra Dogan en 2015-2016 alors qu’elle couvrait (et partageait les conditions de vie des résidents)durant les assauts terribles menés par l’armée turque contre des civils kurdes. Dans ce cas précis, membres-fantômes et fantômes tout court ne sont pas des figures de style.

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Je lis aussi La vie de l’esprit d’ Hannah Arendt. Peut-être est-ce en raison de la nature de ces traductions, la pertinence de l’une de ses sources d’inspiration m’a frappée:   celle de ce qu’elle avait nommé “la banalité du mal” évidente chez le fonctionnaire nazi responsable du transport de centaines de milliers de personnes vers la mort. Dans son introduction, Arendt insiste: “il ne s’agissait pas de stupidité, mais d’absence de réflexion” manifeste dans les “clichés, phrases toute faites, son adhésion aux codes d’expression et de conduite conventionnels, standardisés…” lesquels, écrit-elle “…ont la fonction sociale reconnue de nous protéger de la réalité, c’est-à-dire contre les réclamations qu’exercent sur notre attention de pensée tous les événements et les faits de par leur existence.”

Et, me dis-je, qu’est-ce que la formation militaire sinon un apprentissage dans la “non-pensée”?

Selon les mots d’Arendt: “Se pourrait-il que l’activité de penser, en elle-même, l(habitude d’examiner tout se qui se passe ou retient notre attention, quels qu’en soient les résultats et le contenu précis, se pourrait-il que cette activité fasse partie des conditions qui retiennent les hommes de commettre le mal or, éventuellement, le conditionne à son encontre?” (traduction personnelle depuis l’anglais).

La réponse semble assez évidente. Cependant, de bien endosser son chapeau à penser requiert un peu de gymnastiques des cellules du cerveau… Et oui: le cerveau a beau est un muscle mou, c’est un muscle quand même…

Food for thought-

At an unexpected turn in a common place conversation, someone confides her dismay following a family quarrel that shows no signs of resolution. She suffers of finding herself impotent to do anything about it. Thinking of the person who walked out and slammed the door on her, she evokes the image of a phantom-limb that goes on haunting her. The image strikes me as most apt, especially since this topic does not leave me indifferent.

We agree the initiative for a return belongs to the one who left; that there is no way of knowing if this return will occur, and at what price. And that even if things were to “sort themselves out”, the scars would remain only too real ,and that wasted time was gone irretrievably.

That said, you must keep your mind busy, or risk falling into obsessive drivel.

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Among the things occupying me these days: translation of the news reports Zehra Dogan filed in 2015-2016 when she covered (and shared the living conditions) during the terrible attacks launched against Kurdish civilians by the Turkish military.  In this case, phantom limbs and ghostly presences are not figures of speech.

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I’m also reading Hannah Arendt’s The Life of the Mind and, perhaps because of the translation work, one of the sources of her inspiration for this work struck me as terribly relevant: that of what she called the “banality of evil” displayed by the Nazi civil servant who was responsible for assembling transportation to send hundreds of thousands of people to their death. In her introduction, Arendt insists: “it was not stupidity butthoughtlessness” evident in the man’s “clichés, stock phrases, adherence to conventional, standardized codes of expression and conduct” which, as she writes “…have the socially recognized function of protecting us against reality, that is, against the claim on our thinking attention that all events and facts make by virtue of their existence.”

And what, I ask myself, is military training if not training in thoughtlessness?

In Arendt’s words: “Could the activity of thinking as such, the habit of examining whatever happens to come to pass or attract attention, regardless of results and specific, content, could this activity be among the conditions that make men abstain from evil -doing or even actually “condition” them against it?”*

The answer seems pretty obvious. However, getting the thinking-cap on straight requires a bit of heavy lifting of the brain cells… Yep: the brain may be a soft muscle, but it’s a muscle nonetheless…

*Hannah Arendt, The Life of the Mind, Harcourt, Inc. 1978

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