Traduire, comprendre/Translating, understanding

Traduire, comprendre –

A traduire certains textes, on se pose inévitablement beaucoup de questions. (On s’accorde aussi des pauses  pour aller prendre des marches au grand air.) C’est le cas en ce moment, alors que je traduis les reportages réalisés par Zehra Dogan au Kurdistan dans les années 2015 et 2016 quand elle vécut au cœur des villes kurdes assiégées par les militaires  dans une zone du pays traditionnellement habités par les kurdes, et y recueillit les témoignages des habitants. Avec toujours présente à son esprit, cette question: qu’est-ce qui motivait et nourrissait la résistance kurde à ce moment précis?

Les réponses, sous forme de témoignages par les habitants, donnent froid dans le dos et vous ne pouvez pas échapper à cette lecture sans sourciller, éprouver du recul ou même,  sans vous munir d’un analgésique puissant contre les maux de tête. Et ce, malgré le fait que le travail de traduction fournit en lui-même la possibilité d’opérer une certaine distanciation. Il faut penser aux temps des verbes, au vocabulaire, aux contresens…

Les questions, la traductrice s’en pose aussi. Pas seulement les plus évidentes telles que: mon dieu, comment survivre à tant d’horreur? Mais aussi: mon dieu, que peut-il advenir dans un pays où des milliers de militaires sont dressés comme des bêtes (c’est la seule image juste, dans les circonstances) à commettre des actes pareils? Il y a des sadiques parmi eux, me direz-vous. Je n’en doute pas un seul instant. Mais pas que. Il y a des fanatisés aussi qui perdent de vue le sens commun de leur humanité. Et puis, il y a sans doute la cohorte des suiveux, ceux qui ne comprendront jamais tout à fait pourquoi ni comment ils en sont venus là, si ce n’est pour se dire: “ben, tout le monde le faisait alors…”

Il ne sert pas à grand chose de se dire: bah, c’est en Turquie, ça n’a rien à voir avec nous. L’argument ne fait plus le poids  ni en Europe, ni en Amérique, ni ailleurs.

Alors, de grâce, munissez-vous d’analgésiques s’il le faut, prenez de longues marches et n’oubliez surtout pas de rigoler avec vos amis. Mais posez-vous aussi des questions sur les silences qui excluent des régions entières du globe de votre carte mental.

Translating, understanding –

In translating certain texts, one inevitably asks one’s self many questions. (One also takes some breaks for walks in the fresh air.) This is the case at the moment as I translate the coverage Zehra Dogan provided in Kurdistan in 2015  and 2016 where she lived at the heart of the  towns  besieged by the Turkish army in the zone traditionally occupied by Kurds. Always holding in her mind the following question: what motivated and fed the Kurds’ resistance at that point in time?

The answers, in the form of testimony from the people, are mind numbing and you can’t escape the reading experience without some wincing, some cringing and, perhaps, the help of some extra-strength headache relief.  And this, despite the fact that translating as a job allows for the possibility of a certain distancing. You must think about verb tenses, vocabulary, misinterpretations…

Questions come to mind for the translator also. Not only the obvious ones such as: my god, how can you survive such horrors?  But also: my god, what can become of a country where thousands of soldiers are trained like animals (this is the only correct image, under the circumstances), to commit such acts as these? There are sadists among them, you will say, and I don’t doubt it for a moment. But not only. There are the ones whose fanaticism has made them lose their common sense of humanity. And there are also, undoubtedly, the cohort of followers, those who will never quite understand why or how they reached that point, except to tell themselves: “well, everybody else was doing it, so…”

Not much point in telling yourself “oh, it’s in Turkey, has nothing to do with us”. The alibi doesn’t cut it in Europe, America, or anywhere else.

So, please, I ask you, take an extra-strength analgesic if you must, go for long walks and don’t forget to get good laughs with your friends too.  But also ask yourself questions about the silences and the biases in reporting that shut entire regions of the world out of your mental map.

 

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