Xaibe, Nusaybin et autres endroits absents des guides touristiques

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Xaibe, Nusaybin et autres endroits absents des guides touristiques –

La comédie de la gentillesse et de la compassion débute avant l’embarquement sur le vol ‘low-cost’ où les passagers entassés comme des sardines dans leur boîte contribuent, consciemment ou non, à la pollution de l’air. Oui, la comédie débute lorsque les sardines en potentiel doivent traverser la zone des boutiques hors-taxes offrant tous les objets ‘de luxe’ imaginables. (La comédie se poursuivra à rebours à l’arrivée quand il faudra traverser une zone similaire  et lors du premier repas à la gare. )

Entretemps, à bord du vol, ils auront été invités à “faire leur part” pour aider les miséreux en achetant des billets de loterie avec un premier prix de un million (d’euros, de livres sterling, je n’ai pas fait attention). Immédiatement après ce geste de compassion solidaire, les sardines sont invitées à acheter des parfums d’une puissance pénétrante comparable à celle d’un herbicide de premier choix, à des prix défiant toute concurrence.

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Pour ce qui est du rôle de Xaibe dans cette comédie, je le découvre parce que j’ai tendance à lire chaque lettre de chaque mot qu’on pose devant moi.

Je n’avais jamais entendu parler de Xaibe avant que mes yeux découvrent ce message sur un sachet de sucre raffiné au restaurant dans la gare de Liverpool Street Station: “Notre sucre raffiné commerce équitable contribue aux repas chauds pour les enfants de Xaibe.” Le sachet de sucre brun, lui, annonce: “Notre sucre brun commerce équitable contribue à la sécurité des familles de Xaibe”. 

Evidemment, maintenant je veux en savoir davantage au sujet de Xaibe et de tout le bien que le sucre raffiné contribue à ses habitants, à nous et aux actionnaires du commerce équitable aussi, sans doute.

Voyons. Xaibe. Hum. (Désolée, il va falloir lire en anglais, il n’y a pas de traduction en français. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’est fait aucune mention de commerce équitable et qu’entre les désastres naturels et la chute de l’industrie sucrière, la gentillesse et la compassion du commerce équitable ne semblent pas produire  des effets transcendants pour les braves gens de Xaibe.)

Et je n’ai même pas commencé encore la lecture de   L’Art de la fausse générosité de Lionel Astruc au sujet de la fondation   Bill et Melinda Gates et du monde à l’envers de l’auto-satisfaction du capitalophilantropisme.

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Au Tate Exchange de Londre où  Zehra Dogan expose jusqu’à, et y compris samedi, on lit le message suivant sur l’entrée de la salle d’exposition: “Dans des moments où les pensées et les mots ne suffisent pas, les actions doivent devenir notre langue commune.”  

C’est vrai. Sauf qu’à mon avis, les mots qui ont du sens appartiennent au domaine de l’action. C’est le cas, par exemple, des mots écrits par le jeune Ege Dündar dans la présentation de cette installation intitulée Li Dû Man (Left Behind, Ce qu’il en reste), où par ses récits et les fragments d’objets qu’elle a recueilli après la destruction  par l’armée de Nusaybin dans le sud-est de la Turquie, Zehra donne leur place dans la mémoire collective  aux  bébés, hommes, aux femmes et aux enfants de Nusaybin, tués ou expatriés.

Des voix agissantes. Comme celle de Zehra, alors et maintenant.

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Comme le démontrent aussi les voix insensées qui polluent l’esprit. Des voix envahissantes qui engourdissent sans qu’on les remarque.  Par exemple, ces messages sur les sachets de sucre ou celui-ci  que j’ai lu sur mon reçu de caisse après un repas à Londres. Suivant le montant, le numéro du reçu et de la taxe ainsi que le prénom du jeune homme qui avait pris ma commande (Sergio), je lis: “Ne le dites à personne, mais vous êtes notre client préféré“. La nourriture était bonne mais le message, lui, était d’une fausseté tellement éhontée qu’il en donnait la nausée.  Mais c’était vraiment gentil de la part de la caisse enregistreuse, non?

 Ça m’a rappelé le type de pollution mentale que j’avais remarqué une fois chez une vieille dame charmante qui s’installait chaque soir devant sa télé pour le bulletin dits d’informations et où le présentateur débutait toujours par: “Madame, Monsieur, bonsoir“. Et la vieille dame me regardait en souriant et disait: “Il me souhaite toujours le bonsoir.”

En effet.

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Je remercie la personne qui a cliqué sur Vous qui passez/You passing by pendant mon absence. Perdue dans la foule docile qu’on menait comme un troupeau avant l’embarquement, j’ai eu une pensée pour d’autres foules, menées, elles, à la pointe de la mitrailleuse, et aux commentaires ineptes des gens qui se demandent “mais pourquoi n’ont-ils pas résisté?”

Pourquoi, en effet.

Xaibe, Nusaybin and other spots not included in tourist brochures –

The kindness and compassion comedy begins prior to boarding the low-cost flight in which customers packed in like sardines in a tin add their contribution to air pollution, consciously or not. Yes, the comedy begins when the potential sardines run the gauntlet of duty-free shops at the airport offering every imaginable piece of overpriced garbage-in-the-making you can think of.

The comedy continues with the same gauntlet in reverse at the point of arrival and a first stop for nourishment in a train station.

Meanwhile, aboard their flight, they have been invited to ‘do their share’ for the needy by buying lottery tickets with a Million dollar(euro, pound sterling, I didn’t pay attention) first prize. Immediately after doing their share in solidarity,  the sardines are invited to buy perfumes with the potency and staying power of super-strength weed-killer, at bargain rates unmatched anywhere.

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As for Xaibe’s role in this comedy, I discovered it because  I tend to read every bit of lettering placed before my eyes.

I had never heard of Xaibe before my eyes alighted on this message on a packet of white sugar at the restaurant in Liverpool Street Train station: “Our Fairtrade white sugar helps provide hot lunches to children in Xaibe.” The packet of Demerara sugar reads: “Our Fairtrade Demerara sugar helps keep families safe in Xaibe.”

Now of course, I need to know more about Xaibe and all the good refined sugar is doing to its inhabitants, to us and to fairtrade shareholders too, no doubt.

Xaibe. Hm. Between natural disasters and the decline in the sugar cane industry, the kindness and compassion in fair trading don’t seem to be producing transcendental benefits for the good folks of Xaibe.

And I haven’t even begun reading Lionel Astruc’s L’Art de la fausse générosité yet all about the Bill and Melinda Gates Foundation and the upside down world of feel-good capitalo-philanthropy.

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At the Tate Exchange where Zehra Dogan’s installation is on view until (and including) this Saturday, a message reads: “In times when thoughts and words are not enough actions must become our common language.”

True. Except meaningful words also belong to the realm of action, in my opinion. As evidenced, for example by the words of young Ege Dündar who wrote and edited the presentation to Li Dû Man (Left Behind), presenting fragments and stories Zehra collected following the destruction wrought by the Turkish army on Nusaybin and other Kurdish towns in Southeastern Turkey.

Active voices. As evidenced by Zehra’s voice along with her paintings and stories, then and now.

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As evidenced by mind-polluting meaningless ones too. Voices that numb, unnoticed, pervasive. Such as the messages on those packets of sugar. Such as the one I read on a ticket generated by a cash register after a meal purchase in London. Following the amount, the receipt and VAT number as well as the name of the young man who took my order (Sergio), I read: “Don’t tell anyone else, but you are our favourite customer”.  The food was good, but the message was so shamelessly false it made me feel nauseous. So kind of the cash register, no?

 It reminded me of the sort of mind pollution I noticed once in a lovely old woman who used to sit down in front of her TV set every night for the  so-called news presented by a man who began with:  “Madame, Monsieur, bonsoir“. And she would look at you with a smile and say:   “He always says good evening to me.”

Yes indeed.

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My thanks to whoever it was who clicked on Vous qui passez/You passing by during my absence. Lost in the early morning docile crowds  being herded through the check-in process at the airport, I couldn’t help thinking of other  crowds who were herded at gun-point and the silly comments of people asking “but why didn’t they resist?”

Why, indeed.

 

 

 

 

 

 

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