C’est l’histoire d’un roi qui s’autodévora…/It’s the story of a king who self-devoured…

C’est l’histoire d’un roi qui s’autodévora…

(Elle sert de prologue à Anselme Jappe dans la société autophage*

“Erysichthon était le fils de Tripas, devenu roi de Thessalie après en avoir chassé les habitants autochtones… Ces derniers avaient consacré un bois magnifique à Déméter, la déesse des moissons. En son centre s’élevait un arbre gigantesque et…les nymphes des forêts dansaient à l’ombre de ses branches. Erysichthon, désireux d’en faire des planchers pour…son palais, s’y rendit un jour avec des serfs armés de haches et commença à l’abattre. Déméter elle-même lui apparut alors…pour l’inviter à renoncer. Erysichthon lui répondit avec mépris, mais les serfs prirent peur et voulurent éviter le sacrilège. Leur maître saisit alors une cognée et trancha net la tête de l’un d’eux. Il abattit ensuite l’arbre, malgré le sang qui s’en écoulait et une voix qui en sortait pour lui annoncer un châtiment.

Celui-ci ne se fit pas attendre : Déméter lui envoya la Faim personnifiée qui pénétra, à travers le souffle, dans le corps du coupable. Ce dernier fut alors saisi d’une fringale que rien ne pourrait plus apaiser : plus il mangeait, plus il avait faim. Il avala toutes ses provisions, ses troupeaux et ses chevaux de course…Il alla jusqu’à vendre sa fille, Mestra, pour acheter de la nourriture…Mais rien de tout cela ne calma la faim d’Erysichthon et…lorsque la violence de son mal eut épuisé tous les aliments…il déchira lui-même ses propres membres…et le malheureux se nourrit de son corps…”

*

“Quand le navire ne peut plus avancer qu’en brûlant les planches du pont, alors même la plus urgente limitation de la destruction de la nature se révèle tout aussi impossible que d’opérer une simple “redistribution des richesses” qui nous permettrait de rester un peu plus sur ce navire. C’est au nom du “réalisme” qu’il faut sortir de la société marchande…

Si l’on veut se donner sérieusement les moyens d’envisager une voie de sortie, il faut parvenir, dans la théorie comme dans la pratique, à démêler les fils infinis de l’écheveau qui fait que les individus collaborent – à des degrés divers – au système qui les opprime.”

Anselme Jappe, la société autophage, éditions La Découverte, Paris 2017

Illustration: acrylique par Iza Bouvier

This is the story of a king who self-devoured…

(It serves as prologue to Anselme Jappe’s la société autophage):

Erysichthon was the son of Triopas and became the king of Thessaly after chasing away its native inhabitants…They had consecrated a magnificent grove to Demeter, the goddess of harvests. A gigantic tree grew at its center and…the forest nymphs danced in the shade of its branches. Erysichthon, wanting to turn it into flooring for …his palace, went out one day with his serfs armed with axes, and started chopping it down. Demeter appeared in person…to invite him to give up this project. Erysichthon answered her with contempt but the serfs, struck by fear, wished to avoid the sacrilege. Their master then grabbed a felling axe and beheaded one of them. He chopped down the tree despite the blood that flowed out of it along with a voice announcing his punishment.

It soon followed: Demeter sent Hunger personnified who entered the guilty one’s body in a breath. He was seized by a raging hunger nothing could satisfy: the more he ate, the hungrier he became.  He swallowed all his supplies, his cattle and race horses. He went as far as selling his daughter, Mestra, in order to buy food… But none of that sated Erysichthon’s hunger and… when the violence of his illness had exhausted all forms of nourishment… he tore at his own limbs…and the wretch fed off his own body…”

*

“When the ship can no longer move forward other than by burning the deck, then, even the most urgent limitation of the destruction of nature becomes just as impossible as the simple “redistribution of wealth” that would allow us to stay onboard a bit longer. Thus, it is in the name of “realism” that we must exit the commodities society…If we seriously want to give ourselves the means of considering exits, we must, both in theory and in practice,  manage to unravel the infinite threads of the web that leads individuals – in varying degrees – to collaborate in the system oppressing them.”

Anselme Jappe, la société autophage, éditions La Découverte, Paris 2017

Illustration: acrylic by Iza Bouvier

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