
…Socrate ?
Je n’ai jamais vraiment réfléchi sur Socrate. A part le fait qu’il fut condamné à mort et que Platon était son disciple fidèle, je ne m’étais jamais aventurée au-delà de ces éléments biographiques. Je ne m’étais certainement jamais demandé pourquoi Socrate fut condamné à mort ni comment cette condamnation affecta Platon (et influença sa philosophie).
Et bien, dans l’arrière-plan de ces deux derniers jours plutôt actifs, je n’ai guère pensé à autre chose, et je relirai sans doute encore plusieurs fois le premier chapitre de Qu’est-ce que la politique?* d’Hannah Arendt, tant il me semble pertinent dans l’état actuel de nos affaires publiques.
Pertinent parce que cette mort, et les conclusions qu’en tira Platon, traçèrent la voie de la philosophie occidentale comme celle d’une discipline toujours plus éloignée du tohu-bohu de la vie publique et servit d’entrée en scène du philosophe-roi de Platon appliquant les règles divines et invariables à la société sur laquelle il présidait. Un type d’élévation que Socrate n’aurait guère souhaité puisqu’il semblait plus intéressé par le tohu-bohu, justement, et à l’émergence des vérités partielles (et contradictoires) détenues par les habitants de la cité. En résultait quelque chose ressemblant moins aux ombres sur le mur de la caverne dans Platon, qu’à un miroir à faces multiples. Une différence supplémentaire étant la vision du travail du philosophe en tant qu’entreprise solitaire et de plus en plus abstraite (telle que la comprenne la plupart des gens de nos jours), ou en tant qu’implication active dans le monde changeant des événements et de leurs conséquences.
Et pourquoi cette réflexion me paraît-elle particulièrement pertinente en ce moment? Par la qualité de la pensée d’Arendt, toujours, mais aussi en raison de cette phrase qui de Carole Widmaier qui ouvre la préface française du livre: “Le totalitarisme en tant qu’événement contraint le penseur à faire face à des questions fondamentales. Il constitue l’expérience limite, réelle, collective, et en ce sens politique, de la destruction de toutes les formes de liberté ; il est le régime de la déshumanisation. Dès lors, le monde peut-il ne pas être totalitaire? À quelles conditions la liberté et l’humanité sont-elles possibles? Il s’agit de trouver des ressources pour la résistance.”
* Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique? traduction de l’allemand par Carole Widmaier et Muriel Frantz-Widmaier, et de l’anglais par Sylvie Taussig, avec l’aide de Cécile Nail, Editions du Seuil, 2014
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Et, 1er avril oblige, petit hommage visuel à nos “hommes forts” de l’heure:

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… Socrates?
I never gave much thought to Socrates. Apart from the fact that he was sentenced to death and that Plato was his faithful disciple, I never ventured much further than those bare biographical facts. I certainly never asked myself why Socrates was sentenced to death, nor how this affected Plato (and influenced his philosophy).
Well, for the past two days, in the background of fairly active living, I have thought of little else, and I’ll probably read through the beginning of Hannah Arendt’s first chapter of Qu’est-ce que la politique?*several more times, so relevant does it strike me in our current state of public affairs.
Relevant because that death, and Plato’s conclusions, set the course for Western philosophy as a discipline ever further removed from the hustle bustle of public life and a lead-in to the appearance of Plato’s philosopher-king applying divine and unchanging rules to the society over which he presided. A kind of elevation Socrates would not have wished since he seemed more interested in the hustle bustle, precisely, and in drawing forth the partial (and contradictory) truths held by the city’s inhabitants. The result being less like Plato’s shadows on the cavern’s wall, and more like a multi-faceted mirror. A further distinction being that of the philosopher’s work as a solitary and ever-more abstract exercise (as understood by most people nowadays), or as an active involvement in the changing world of events and their consequences.
And why does this reflection strike me as particularly relevant at the moment? Because of the quality of Arendt’s thought, as always, but also because of this sentence by Carole Widmaier which opens the preface of the French-language copy of the book: ” Totalitarianism as an event forces the thinker to face fundamental questions. It constitutes the extreme, real, collective limiting – and hence, political – experience of the destruction of every form of liberty; it is the regime of dehumanization. That being the case, can the world not be totalitarian? Under what conditions are freedom and humanity possible? It is a matter of finding resources for resistance.”
*Hannah Arendt, The Promise of Politics, Schocken Books, 2005
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And this being April Fool’s Day, this small visual tribute to our current “strong men”:
