
Couples –
L’histoire que j’étais à écrire est pour ainsi dire terminée. Il me reste la relecture, évidemment, les ajouts, les coupures, mais ce que l’histoire fictive était en mesure de porter, elle l’a fait.
Depuis mardi et ma longue conversation avec un jeune Malien, j’ai envie d’écrire des histoires de couples. Il faudra bien me résoudre à prendre des chemins de traverses du côté de la fiction, mais plus je croise de couples, plus le sujet me fascine. Les liens qui unissent et rendent forts, ceux qui étouffent et qui détruisent, les trahisons impardonnables pour les uns, supportables pour les autres. Pas deux histoires pareilles.
Pendant que nous buvions son thé préféré fait de fleurs d’hibiscus (fleurs cueillis au Burkina Faso), il me parlait d’un couple parmi ses connaissances où la jeune épouse refuse que son mari fasse des tâches domestiques “réservées aux femmes”. Lui qui a dû apprendre à se débrouiller avec ces tâches-là, j’aurais voulu avoir ses impressions sur le passage suivant d’une entrevue accordée par Françoise Héritier à France Culture en 2006 puis publiée sous le titre L’identique et le différent*. Parlant de représentations archaïques, elle dit:
“Je prends un exemple dans la société sur laquelle je travaille, les Samo du Burkina Faso. Les femmes disent qu’il faut allaiter tout de suite le petit garçon qui pleure parce qu’il a le “cœur rouge”, c’est-a-dire qu’il peut devenir facilement furieux, qu’il est impatient et que la fureur le met en danger: il pourrait en mourir. Le petit garçon qui pleure reçoit immédiatement le sein. Alors qu’une petite fille, elles la laissent attendre; elles disent qu’il faut lui apprendre la patience puisque toute sa vie, elle devra être patiente. On lui fait donc attendre le sein jusqu’à ce que sa mère ait fini son activité. On façonne donc ainsi des hommes pour qui il est naturel d’obtenir immédiatement ce qu’ils convoitent, et des fillettes pour qui il est naturel d’attendre patiemment qu’on veuille bien leur accorder ce dont elles ont envie ou besoin. On fabrique donc ce qui sera considéré ensuite comme la marque d’un tempérament naturel.”
Au lieu de cela, nous avons parlé d’autres choses. Mais l’histoire de cette jeune épouse en dit long sur le mécanisme de reproduction des comportements stéréotypés, quels qu’ils soient. Lorsqu’ils deviennent non seulement “naturels” mais une source d’identité et de fierté, les prisons sont gardées par les prisonniers eux-mêmes.
On se souvient de la petite fable d’Italo Svevo?
“La petite porte de la cage était restée ouverte. Le petit oiseau d’un bond léger fut sur le seuil et de là, il regarda le vaste monde d’un œil d’abord, puis de lautre. Son petit corps fut traversé par le désir frémissant des grands espaces pour lesquels étaient faites ses ailes. Mais ensuite, il se dit : “Si je sors, on pourrait refermer la cage, et je resterais dehors, prisonnier.” La petite bête rentra et peu après, non sans satisfaction, elle vit se refermer la petite porte qui scellait sa liberté.”**
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Donc. Un regard sur les couples. Avec un esprit aussi ouvert que possible parce que les plus intéressants sont justement ceux qui ne considèrent pas la norme culturelle – quelle qu’elle soit – comme ce qu’il y a de plus vrai dans une relation.
*Françoise Héritier, L’identique et le différent, éditions de l’aube 2018
**Italo Svevo, Fables traduction de Dino Nessuno, edition Sillage 2010
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The story I was writing is more or less finished. I still need to re-read, of course, make additions or cuts, but what the fictitious story could bear, it has done so.
Since Tuesday and my long conversation with a young man from Mali, I feel like writing stories about couples. I will have to settle on side roads into fiction, but the more couples I meet, the more the topic fascinates me. Links that unite and strengthen, those that stifle and destroy, treasons that prove unforgivable for some, bearable for others. Not two stories are the same.
While we drank his favorite tea of hibiscus flowers (gathered in Burkina Faso), he told me about a couple he knows where the young wife refuses to allow her husband any domestic chores she considers “reserved for women”. Since he has had to learn to deal with such chores, I would have liked his impressions on the following passage in an interview of Françoise Héritier on France Culture in 2006, since published under the title L’identique et le différent (The identical and the Different). Speaking of archaic representations, she said:
” I’ll use an example from a society on which I’m working, the Samo from Burkina Faso. The women say you must feed a crying baby boy right away because he has “a red heart”, meaning he can easily become infuriated and his fury endangers him; it could kill him. The baby boy who cries gets the breast immediately. Whereas with a little girl, the women let her wait; they say she will have to learn patience since she will have to be patient her whole life. They make her wait for the breast until the mother has finished whatever she’s doing. Thus do they fashion men for whom it is natural to obtain what they want immediately, and little girls for whom it is natural to wait patiently to receive whatever they wish for or need. Thus are moulded behaviors that will then be considered as natural traits.”
We talked of other things instead. But the story of that young wife speaks volumes about the mechanism for the reproduction of stereotyped behaviors, whatever they may be. When they become not only “natural” but a source of identity and pride, the prisons become guarded by the prisoners themselves.
Remember the short fable by Italo Svevo?
“The little door of the cage had stayed open. Skipping lightly, the tiny bird reached the edge and from there, he looked out on the big world, first with one eye, then with the other. His tiny body was shot through with a shuddering longing for the wide open spaces for which his wings were designed. But then he told himself: “If I go out, they might close the cage behind me, and I would stay imprisoned outside.” The little bird went back in and shortly thereafter, to his satisfaction, he saw the little door close, sealing his freedom.”
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So. A look at couples. With as open a mind as possible because the more interesting ones are precisely those who don’t take the cultural norm – whatever it may be – as what is the most true in any relationship.