
A propos –
Rien de tel que d’être coincée dans un bus empêtré dans un bouchon pour apprécier à leur juste valeur :
-les hurlements de rire de trois débiles sur l’émission de radio que le chauffeur nous diffuse à tue-tête et
-les pubs nous invitant à nous prévaloir d’une “offre du gouvernement” c’est-à-dire de notre argent, pour acquérir encore une autre voiture à ajouter au paquet qui englue la sortie de la ville.
Youppi.
C’est encore plus amusant quand on s’adonne à être en pleine relecture de les aventures de la marchandise* d’Anselm Jappe, avant de relire la société autophage – capitalisme, démesure et autodestruction** du même.
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Rencontré ces derniers jours le site palim-psao.fr critique de la valeur-dissociation. Repenser une théorie critique du capitalisme, pour toute personne que ces sujets intéressent. La plupart des textes sont en français avec quelques traductions en anglais.
Petit extrait:
“Après Marx, on a dû se rendre compte que le capitalisme n’est pas seulement une affaire d’oppression exercée par une classe identifiable, mais qu’il se reproduit aussi dans les têtes et les âmes. Dans un premier temps, l’attention se concentrait sur le lien entre les structures autoritaires du capitalisme et les tendances autoritaires des individus, et on en retraçait l’origine dans la famille petite-bourgeoise et le rôle du complexe d’Œdipe pour sa formation. Cependant, cette analyse – avancée surtout par le « freudo-marxisme » – n’était exacte que pour une période historique particulière. Par la suite, d’autres structures de la personnalité, et notamment le narcissisme secondaire, ont fini par dominer. Christopher Lasch a été un des premiers à l’évoquer dans son livre La culture du narcissisme (1979). Son explication des origines historiques du narcissisme reste toutefois trop réductrice et n’établit pas de véritable lien avec la critique de l’économie politique. Dans La Société autophage, j’ai tenté de déterminer – ce n’est qu’une première percée – le lien entre le narcissisme et le « sujet automate » créé par le fétichisme de la marchandise. Le fétichisme aplatit le monde, il réduit tout élément concret à n’être que le « porteur » d’une portion de travail abstrait. Il nie donc les spécificités de tout objet et finalement nie le monde lui-même. Tout se réduit au même. Le narcissique fait la même chose : il perçoit le monde seulement à travers ses projections qui doivent satisfaire son désir de toute- puissance, qui est de son côté une compensation de la sensation d’impuissance totale qui est celle du petit enfant. Au lieu d’arriver à une emprise limitée mais réelle sur le monde, à travers la reconnaissance de l’Autre dans le complexe d’Œdipe, le narcissique se satisfait, souvent à son insu, de projections et de phantasmes. Et ce rapport au monde se forme très tôt, à partir de la première enfance, bien avant toute entrée dans la vie sociale ou économique. Elle serait cependant renversable – guérissable – si le sujet contemporain ne rencontrait pas ensuite, à chaque pas de son existence, des facteurs qui renforcent ce narcissisme et l’exploitent, de la publicité aux technologies communicatives, de la concurrence permanente au quantified self… Ce narcissisme n’est pas le propre d’une classe ou d’un segment de la société, mais se trouve, à des taux variables, chez la plupart des sujets contemporains. Mais en ceci réside aussi un espoir : chacun peut commencer, ici et maintenant, à s’en libérer, même par de petits gestes.” Anselm Jappe
Quant à la conclusion de la société autophage – elle constitue une invitation fort à propos à garder les écoutilles décrassées par ces temps de règne de la grande bêtise:
“Il n’y a aucun modèle du passé à reproduire tel quel, aucune sagesse ancestrale qui nous guide, aucune spontanéité du peuple qui nous sauvera avec certitude. Mais le fait même que toute l’humanité, pendant de très longues périodes, et encore une bonne partie de l’humanité jusqu’à une date récente, ait vécu sans les categories capitalistes démontre au moins qu’elles n’ont rien de naturel et qu’il est possible de vivre sans elles.”
*Anselm Jappe, les aventures de la marchandise, poche 2017
**Anselm Jappe, la société autophage, la découverte 2017
Timely –
Nothing like being stuck aboard a bus tangled in a traffic jam to fully appreciate :
-the howls of laughter from three morons on a radio program the driver is broadcasting at full volume and
-the ads inviting us to take advantage of a “governmental offer” i.e. our money, in order to acquire yet another car to add to the lump bogged down on the outskirts of town.
Yippy-yay.
This is even more fun when you happen to be in full re-reading of l’aventure des marchandises by Anselm Jappe, prior to re-reading his la société autophage – capitalisme, démesure et autodestruction.
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Came across the following website in the last few days for anyone interested in theoretical reappraisals of capitalism. Most of the texts are in French with some translations in English.
A brief personal translation in English of an excerpt:
“After Marx, we had to realize that capitalism is not only a matter of oppression exercised by an identifiable class, but that it also reproduces within minds and souls. At first, attention was concentrated on the link between the authoritarian structures of capitalism and the authoritarian tendencies in individuals, their origin being traced to the families of the petite-bourgeoisie and the role of the Oedipus complex in its elaboration. However, this analysis – put forward mainly by “freudo-marxism” – was only valid for a given historical period. Later, other structures of the personality ended up dominating, notably secondary narcissism. Christopher Lasch was one of the first to evoke it in his book La culture du narcissisme (1979). However his explanation of the historical origins of narcissism remains too limited and does not establish a real link with the criticism of political economics. In La Société autophage, – and only as a first stab – I attempted to determine the link between narcissism and the “automaton subject” created by the fetichism of merchandise. Fetichism flattens the world, it reduces every concrete element into nothing but the “bearer” of a portion of abstract labour. Thus, it negates the specificities of every object and finally negates the world itself. Everything is reduced to sameness. The narcissist does the same thing: he perceives the world solely through his projections that must satisfy his wish to be all-powerful which is his way to compensate for the feeling of total powerlessness of the small child. Instead of arriving at a limited but real grip on the world, through the recognition of the Other in the Oedipus complex, the narcissist is satisfied with projections and fantasies, often without even realizing it. And this relationship to the world is formed very early, in early childhood, well before entering social or economic life. It could be reversed – healed- if the contemporary subject did not then come across factors reinforcing and exploiting his narcissism at every step, from advertising to communication technologies, from permanent competition to quantified self…This narcissism is not the characteristic of a class or of a segment of society but can be found, at variable degrees, in most contemporary subjects. But in this also resides a hope: everyone can begin, here and now, to free himself, even by small gestures. ”
And a translation of the final paragraph in la société autophage – a timely invitation to keep the hatchways uncluttered in these days of the crushing reign of stupidity:
“There is no model from the past to be reproduced as it was, no ancestral wisom to guide us, no spontaneity of the people that will surely save us. But the simple fact that all of humanity lived without capitalist categories for very long periods, and that a good part of humanity still does, at least serves to demonstrate that they are in no way the natural order of things, and that it is possible to live without them.”