Liberté, liberté chérie

Liberté, liberté chérie –

C’est très embêtant. Comme un cheveu sur la langue ou un bégaiement. Comme un pensez-y bien permanent. Les choses qu’on peut dire publiquement – mais au conditionnel seulement. Les choses qu’il vaut mieux taire parce que…parce que, non, il vaut mieux ne pas dire pourquoi il vaut mieux ne pas les dire.

Bref, la parole entravée. Le silence est d’or, disent-ils  (cherchez l’erreur, enfin, s’ils peuvent le dire, c’est que la parole a quand même du bon, non?).

Dans certains cas, il faut être un étranger pour s’en rendre compte. (À Chicoutimi, au début des années soixante, on ne disait pas étrangers, on disait “étranges”. “Vous êtes des étranges,” nous disait-on dans les commerces. Pensez donc, nous venions de Québec, de l’autre côté du Grand Parc des Laurentides. Nous n’allongions pas les diphtongues exactement comme les gens du cru. Nous ne disions pas “c’est plaiïsant, quelle honte!)

Des “étranges”. Méfiance. “Les étranges” ne posent pas le même regard que “nous” sur ce qui est évident et ce qui ne l’est pas. Il leur arrive même de débusquer de l’irrationnel où tout le monde s’accorde pour voir “du gros bon sens”.Ou alors, puisque “la parole est d’argent” ce qui n’est pas si mal, ils parlent à tort et à travers. De l’empereur nu dont tout le monde admire la tenue , par exemple. Sans se rendre compte que, dans ce pays, la nudité ne se dit pas.

Liberté, liberté de parole chérie…tant qu’elle ne dérange pas par son impertinence. Ou que cette dernière sait où sont les limites.

Et qui décide des limites? Qui déplace le curseur?

*

Etranges étrangers pour qui le plus étrange de tout, c’est ce que les non-étrangers appellent “l’évidence.”

Liberté, liberté chérie –

It’s most annoying. Like a lisp or a stutter. Like a permanent reminder. Things you can say in public – but in the conditional only. Things better left unsaid because…because, no, it’s best not to say why they are best left unsaid.

In other words, shackles. Silence is golden, they say (point to the error, I mean, if they can say it, that must mean there’s some value to speech, no?).

In some cases, you must be a stranger to notice it. (In Chicoutimi, in the early sixties, they didn’t say strangers, they said “stranges“. “You’re stranges”, they would tell us in the stores. Just think, we came all the way from Québec on the other side of the Great Park of the Laurentides. We didn’t stretch out our diphthongs exactly in the same way as the locals did. We didn’t say “how playezant“, how shameful!)

“Stranges”. Caution. “Stranges” don’t see things as evident in the same way as “we” do. Sometimes, they even uncover the irrational where everybody agrees there’s nothing but “good old common sense”.  Or since “words are silver” which isn’t so bad, they talk a lot of rubbish. That the emperor is naked, for instance. Without realizing that, in that country, nakedness is not mentioned.

Liberty, cherished freedom of speech…so long as it doesn’t disturb by its impertinence. Or that the impertinence knows its limits.

And who decides on the limits? Who moves the cursor?

*

Strange strangers. For whom the strangest of all is what the non-strangers call “evident”.

 

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