“Qualifiés” –

L’élection américaine d’aujourd’hui pour les chambres des gouverneurs et des sénateurs ne se jouera pas seulement sur les thèmes que les politiciens se sont efforcés d’imposer à la population à grand renfort d’argent et de discours incendiaires. Pour bien des gens, elle se jouera à un niveau plus fondamental: à savoir, qui semble les considérer dignes de considération.

 

Durant la campagne présidentielle, la fameuse expression de Hillary Clinton décrivant les supporters de Trump comme étant des “déplorables”, a servi de révélateur pour plusieurs. Elle était l’experte, la politicienne professionnelle, la plus “qualifiée” pour le poste de présidente. Ignorez les questions de manipulation des votes pour un moment and demandez-vous ce qui suit: si vous n’êtes pas détenteur d’un diplôme d’études supérieures, si vous ne passez pas vos soirées à lire les opinions judicieuses dans les grands journaux, si vous êtes submergés par les mensualités sur la maison, la voiture, les frais dentaires, et si vous êtes d’avis que les “experts” ont surtout développé une grande expertise en langue de bois. Survient un candidat. Il dit ce que vous pensez, à voix haute, plus des inepties dont vous n’avez cure. Dame Hillary se présente et prononce le mot “déplorables”. La partie est terminée. À bas Dame Hillary. Votre vote ira au fort en gueule qui s’est fait une fortune à force d'”expertise” en mensonges,   magouilles et arnaques. Bien des amérivains ont un faible pour les férus du pistolet. Titillés à ce niveau, ils ne se mettent pas à citer des extraits du New York Review of Books. De toute façon, où que ce soit dans le monde, une fois que le jeu se transporte sur le terrain du mépris, il ne faut pas s’attendre à ce que la “part angélique” de l’homme occupe le haut du pavé.

Je vis bien loin de tout ça, dans une petite ville où coule une rivière dont la pollution a bien diminué…depuis que la plupart des mégisseries ont fermé leurs portes et où même les  experts diplômés regardent couler la rivière quand le travail se fait trop rare. La ville compte son lot de “déplorables” (mais Macron les/nous désigne autrement, lui).

Quoiqu’il advienne aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis ou aux élections européennes en mai,  nous touchons les problèmes de fond. On ne peut guère s’attendre à ce qu’ils disparaissent à coup de mensonges ou de nouvelles expressions données au bon vieux mépris qui coule et coule, lui aussi. Nul besoin de le nourrir. C’est comme une  vilaine fuite, à la base de l’âme humaine, non soluble dans les algorithmes.

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En ce moment, je relis l’introduction à une remarquable traduction en anglais de l’Odyssée par Emily Wilson. Hautement recommandée aux “experts qualifiés” un peu portés sur l’hubris. Ou, comme l’écrit Wilson dans l’ Introduction, “…la litérature hellénique présente le rapt de la femme de Ménélas par son invité, Paris, comme un abus de la xenia, puisque les lois de l’hospitalité sont celles qui tiennent à distance un monde dans lequel les hommes tuent ceux qui ne leur ressemblent pas. En l’absence de xenia, ou lorsqu’on l’abuse, la violence survient.”   Il est intéressant de noter que la notion de xenia est à l’origine et des lois de l’hospitalité et de concepts tels que la xénophobie. Bref, les frontières de l’âme humaine sont bien perméables et la modestie est de mise. Experts    ou non, nous ne sommes pas là pour un temps très considérable…et L’Odyssée n’est pas si éloignée de nous.

“Qualified” –

Today’s election for governors and senators in the States won’t play out stricly on the themes the politicians have done their best to throw at the people with scads of money and fiery talk. For a lot of people, it will play out at a more basic level: that of who they consider addresses them as worthy of consideration.

During the presidential campaign, Hillary Clinton’s famous use of the word “deplorables” as describing Trump’s supporters was the giveaway. She was the expert, the professional politician, the one most qualified to occupy the presidency. Set aside the issues of voter manipulation for a moment and ask yourself the following: if you do not hold a college degree, if you do not read all those judicious opinions in the major newspapers, if you’re struggling to meet payments on the mortage,  the car and dental bills and you happen to think the “experts” have mostly demonstrated their expertise in bullshit. A candidate appears. He says these very things out loud, plus a bunch of stuff you don’t care about one way or the other. Dame Hillary comes out with the word “deplorables”. Game over. Thumbs down for Dame Hillary. Your vote goes to the loudmouth who has made a fortune through his “expertise” in lying, thieving and scamming. Many  Americans have a love affair with their gunslingers. Tickled at that level, they don’t pull out quotes from their New York Review of Books.

Besides, once you start playing the game at the level of contempt anywhere in the world, don’t expect man’s higher angels to rule the day.

I live far away from all that,   in a little town where the waters run clearer …now that most of the tanneries have shut down and where even experts with degrees watch the river flow when work gets too scarce. The town has its lots of “deplorables” (although Macron calls them/us by another name).

Whatever happens at the American mid-term elections or at the European elections in May, we are facing fundamental problems and can’t expect them to disappear with a fresh layer of lies or  with the rephrasing in newer expressions of that same old contempt that keeps on flowing on and on. No need to feed it.  It’s  like a nasty leak  at the root of the human soul, non soluble in algorithms.

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Re-reading the Introduction to Emily Wilson’s  fantastic English translation of The Odyssey*. The translation is highly recommended for “qualified experts” a bit given to hubris. Or, as Wilson writes in the Introduction, “…the abduction of Menelaus’ wife by his guest, Paris, is presented in Greek literature as an abuse of xenia, since the laws of hospitality are what stave off a world where men kill those who are different from themselves. When xenia is absent or abused, violence follows.”

It is interesting to note that the notion of  xenia is at the origin of the laws of hospitality as well as of concepts such as xenophobia.In other words, the frontiers of the human soul are most permeable, and modesty is called for. Whether experts or not, we’re not here for a considerable length of time… and The Odyssey  isn’t that far removed from us.

*The Odyssey – Homer, translated by Emily Wilson, W.W. Norton Company Inc, 2018