Les vents/The Winds

Les vents – 

Il faisait soleil alors nous nous sommes assis dans mon jardin en pagaille. Il a parlé pendant plus de deux heures. De la récolte abondante de maïs au pays grâce aux pluies enfin venues. La meilleure récolte depuis l’année où son oncle a dû vendre la deuxième et dernière vache pour payer sa rançon aux Libyens qui le détenaient en otage. De sa mère qui m’adresse ses amitiés et qui voulait nous envoyer du maïs pour nous épargner de la dépense dans ce pays “si cher”.  De sa “sœur” qui fréquente l’école maintenant grâce aux sous qu’il leur envoie. Comme il est enfant unique, sa tante avait “prêté” l’une de ses filles à sa mère pour l’aider dans les tâches domestiques et le travail aux champs. Je lui chante quelques paroles d’une chanson de mon enfance: “C’est pas l’affaire des filles d’aller voir les garçons, mais c’est l’affaire des filles de balayer la maison…” “Chez-moi, c’est encore comme ça Madame,” dit-il.

Il me parle de son patron qui lui confie maintenant les clés du commerce pour qu’il y travaille seul les lundis. Il se lève à trois heures du matin et travaille jusquà midi à préparer les pains de fantaisie, les baguettes, les croissants et autres viennoiseries. En décembre, il espère obtenir le renouvellement de son titre de séjour pour une autre année.

Nous parlons aussi de ceux pour qui les choses ne se passent pas bien du tout.   Son plaisir à me voir est tellement sincère qu’il me déconcerte souvent. L’ironie ne fait pas partie de son tempérament et il a le don de l’amitié – un don inné ou développé durant sa traversée des sables et des mers, je ne sais pas.

Il part rejoindre ses copains. “Et la cuisine?” “Ah madame, je me débrouille maintenant. Je fais beaucoup de riz avec la viande et les tomates et ça me tient trois jours.”  “Et la nouvelle copine t’aide un peu?” “Euh…un peu.” Quelque chose me dit que la nouvelle copine participe “un peu” à ce bel effort de débrouillardise… Bientôt, il aura dix-neuf ans. Un peu plus calme qu’il y a quatre mois, toujours aussi “sapé” à la dernière mode.

“À bientôt?” – “Oui, à bientôt, Madame,  inch’ Allah.”

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Pendant ce temps en Italie, le gouvernement fascisant met le maire de Riace sous arrêt pour le crime patent de soutien aux nouveaux arrivés de la mer qui font revivre son village. Et un nouveau navire prend la mer, le Mare Ionio, pour témoigner des naufrages silencieux et porter secours avant les voyages, quand c’est possible. “L’important pour nous c’est aussi de nous sauver nous-mêmes, de nous sauver des saletés qui se passent tous les jours sous nos yeux,” dit l’une des participantes à l’aventure. En effet.

L’article est à lire dans Médiapart “Avec l’équipage du Mare Ionio, les anti-Salvini retrouvent de la voix en Italie”

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Illustration: un nouvel arrivant sur ma rue. Il s’anime lorsque le vent souffle depuis la rivière. Une installation par celui qui se fait appeler le châ moqueur.

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 The Winds –

The sun was out so we sat in my messy garden. He talked for over two hours. About the abundant corn crop back home, thanks to the rains that had finally come. The best crop since the year when his uncle had to sell the last of the two cows to pay his ransom to the Libyans holding him as hostage. About his mother who wanted to send us some of the corn to keep us from spending too much in this “so expensive” country. About his “sister” who now goes to school thanks to the money he sends home. As he was an only child, his aunt “lent” one of her daughters to his mother, to help her with house and field work. I sing a few verses from a childhood song: “it’s not the girls’ business to go see the boys, it’s the girls’ business to sweep the floors”…”Where I come from, it’s still like that, Madame”, he says.

He talks about his boss who now entrusts him with the keys to the shop where he works on his own on Mondays. He’s up at three in the morning and works till noon, preparing novelty breads, baguettes, croissants and other pastries. In December, he hopes to get the renewal of his one-year residency permit.

We also talk about those for whom things are not going smoothly at all. His pleasure in seeing me is so genuine that it throws me off at times. Irony is not a part of his temperament and he has the gift of friendship – an innate gift or one he acquired during his crossings of sands and seas, I don’t know.

He takes off to see his buddies. “What about cooking?” – “Ah, Madame, I manage now. I make a lot of rice with meat and tomatoes and it lasts me for three days.” “And your new girlfriend helps a bit?” “Uh…she a bit.” Something tells me the new girlfriend helps “a bit” in this fine display of self-management…Soon, he will be nineteen years old.  A bit quieter than four months ago, still a spiffy dresser.

“See you soon?” – “Yes, see you soon, Madame, inch’ Allah.”

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Meanwhile in Italy, the fascistic government has place the Mayor of Riace under house arrest for the obvious crime of support for the new arrivals from the sea that are bringing new life to his village. And a new ship has taken to the sea, the Mare Ionio, in order to testify to the silent sinkings, and save as many lives as possible from drowning. One of the young woman aboard the ship says: “What matters to us is also saving ourselves, saving ourselves from the filth going on before our eyes, every day.” Indeed.

You can read the article online on Médiapart (there may be an English translation) “Avec l’équipage du Mare Ionio, les anti-Salvini retrouvent de la voix en Italie” (With the crew of the Mare Ionio, the anti-Salvinis find their voice again in Italy)

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Illustration: a new arrival on my street. He comes to life when the wind blows in from the river. An installation by one who likes to be known as le châ moqueur,(the mocking cat).

 

 

 

 

 

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