Lessive/Laundry

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Lessive –

Le chaos est un animal étrange. Le concevoir comme une scène de guerre totale et uniforme, c’est l’imaginer comme un film-catastrophe à grande échelle. Mais tout comme le diable, le chaos est beaucoup plus subtile: la désorganisation totale ici, et juste à côté, la confusion complète et sa lente distillation du poison de  l’indifférence.

Loin du monde que je connais, je reprends pied avec difficulté. Pour l’heure, les gestes les plus simples me sont les plus utiles. La lessive, par exemple. Au Mexique, elle se fait à partir d’un bassin rempli d’eau à côté duquel on savonne et on rince les vêtements. Ils sèchent au soleil en quelques heures.

Pendant qu’on savonne, on peut réfléchir. Après la lecture des journaux, souvent, je réfléchis à Hannah Arendt. Parmi les livres que j’ai apportés avec moi, il y a l’opuscule “La politique a-t-elle encore une sens?“*, constitué de fragments écrits entre 1958 et 1961 en vue de son “Introduction à la politique”, laissée inachevée à sa mort en 1975.

Dans le climat ambiant de corruption où le processus électoral n’est plus qu’un vulgaire cache-misère, cette partie de ces fragments de réflexion me paraît particulièrement pertinent:

“…Nous avons tendance à consider la paix – qui en tant que fin de la violence doit lui indiquer ses limites et circonscrire son processus d’anéantissement – comme quelque chose qui prend son origine à partir d’un domaine qui transcende le politique et qui doit maintenir la politique elle-même dans ses limites ; de même que nous sommes enclins à accueillir les époques de paix qui s’intercalent entre les catastrophes, même à notre époque, comme les périodes quinquennales ou les décennies au cours desquelles la politique nous octroie un répit. Ranke a un jour forgé l’expression de primat de la politique étrangère et il se pourrait bien qu’il n’ait pas voulu dire autre chose si ce n’est que la sécurité des frontières et les relations internationales doivent être le premier souci de l’homme d’État, puisque la simple existence de l’État et de la nation en dépend. On est tout d’abord tenté de croire que seule la guerre froide nous a enseigné ce qu’il en est du primat de la politique étrangère. Si, en effet, le seul objet pertinent de la politique est devenu la politique étrangère, c’est-à-dire le danger qui guette toujours les relations internationales, cela ne signifie ni plus ni moins que le mot de Clausewitz, la guerre n’est rien d’autre que la poursuite de la politique avec d’autres moyens, s’est inversé, de telle sorte que la politique est finalement devenue une poursuite de la guerre dans laquelle les moyens de la ruse se sont provisoirement introduits à la place des moyens de la violence. Et il est indéniable que les conditions de la course aux armements dans lesquelles nous vivons et devons vivre permettent à tout le moins de penser que le mot de Kant – rien ne devrait arriver pendant la guerre qui rende impossible une paix ultérieure – s’est lui aussi inversé, en sorte que nous vivons  dans une paix au sein de laquelle rien ne doit être épargné pour qu’une guerre soit encore possible.” 

La question la plus urgente étant peut-être alors de se demander à quoi servent encore ces nations et ces états, totalement soumis à des intérêts financiers parfaitement trans-nationaux, eux.

*Hannah Arendt, La politique a-t-elle encore un sens?, éditions de l’Herne, 2007, 2017

Laundry –

Chaos is a strange animal. To think of it as a total and uniform war scene is to imagine it in terms of a blockbuster disaster movie. But chaos, like the devil, is way more subtle: total disruption here, and right next to it, total befuddlement and the slow, seeping poison of indifference it instills.

Far from the world I know, I’m regaining my footing with some difficulty.  For now, the simplest things are the most useful. Laundry, for instance. In Mexico, you do the laundry with a full tub of water next to which you soap and rinse the clothes. They dry in the sun in a matter of hours.

While you soap, you can think. After reading the daily news, I often think of Hannah Arendt’s writing. Among the books I brought along with me, there’s a small one titled La politique a-t-elle encore un sens? (Does Politics Still Mean Anything?). The booklet is a French translation of fragments left at her death in 1975 to an Introduction to Politics on which she was working. The fragments were written between 1958 and 1961.

In the current climate of corruption where the electoral process has become nothing but a vulgar fig leaf, this part of the fragments strikes me as particularly relevant:

“We tend to consider peace – which, as the end to violence, must set its limits and circumscribe its process of annihilation – as something originating in a domain that transcends politics and that must keep politics themselves within its confines; just as we are inclined to greet periods of peace between the catastrophes…as five or ten year periods during which politics allow us a respite. Ranke one day forged the expression on the primacy of foreign policy and, possibly, all he meant by this was that safeguarding frontiers and international relations must be a Statesman’s foremost concern, since the very existence of the State and of the nation depend on it. At first glance, we may be tempted to believe that the Cold War only has taught us what we know about the primacy of foreign affairs. For if foreign affairs are the only relevant object in politics, which is to say the danger constantly looming over international relations, then this means nothing more or less than Clausewitz’ words about war being nothing other than the pursuit of politics by others means having become reversed, so that politics have finally become  the pursuit of war where ruse is temporarily used instead of violent methods. And it is undeniable that the conditions of the arms race in which we live and must live permanently allow us to think at the very least that Kant’s words – nothing should happen during the war that renders and ulterior peace impossible – have also become inverted, so that we live in a peace in which nothing must be spared so that a war may still be possible.”

Perhaps then, the most urgent question is what purpose is still served by nations and States that are totally subjected to trans-national financial interests.

 

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