
Sur le bout de la langue –
Après un diagnostic médical un peu corsé, nécessairement, le champs des préoccupations se resserre autour de considérations pratiques. En doses massives, je les trouve dévitalisantes au possible.
Un peu d’évasion alors. J’en suis à la page 481 du tome 1 dans ma relecture de L’homme sans qualités de Robert Musil*. Nous sommes en 1913-1914, la 1ère guerre mondiale n’a pas encore éclaté. Il y a des espèces de guéguerres dans les Balkans, mais en apparence, rien qui puisse ébranler le monde. Je tombe sur l’expression “sur le bout de la langue” – expression qui avait retenu mon attention hier dans le contexte du dernier livre du metteur en scène Peter Brook (son livre Tip of the Tongue, traduit en français par Du bout des lèvres, alors que sur le bout de la langue serait plus juste).
Robert Musil, donc: “…il y avait eu encore autre chose sur le bout de la langue : une allusion à ces problèmes mathématiques qui ne tolèrent pas de solution générale, mais bien des solutions particulières dont la combinaison permet d’approcher d’une solution générale. Il eût pu ajouter qu’il tenait le problème de la vie humaine pour un problème de ce genre. Ce que l’on appelle une époque (sans savoir s’il faut entendre par là des siècles, des millénaires, ou le court laps de temps qui sépare l’écolier du grand-père), ce large et libre fleuve de circonstances serait alors une sorte de succession désordonnée de solutions insuffisantes et individuellement fausses dont ne pourrait sortir une solution d’ensemble exacte que lorsque l’humanité serait capable de les envisager toutes.”
Ce à quoi on peut toujours rêver, tout en grignotant ses journées, comme une souris son quignon de pain sec, puis son trognon de pomme, puis…
* L’antithèse du livre qui se dévore en une bouchée.
On the tip of the tongue –
Following a rather full-bodied medical diagnosis, the field of preoccupations necessarily narrows down to practical considerations. In massive doses, I find them as de-vitalizing as can be.
A bit of an escape then. I’m on page 481 of the first tome in my re-reading of The Man Without Qualities by Robert Musil*. We are in 1913-1914, the First World War hasn’t erupted yet. There are squabbles in the Balkans but, apparently, nothing to shake the world to its foundations. I come across the expression “on the tip of the tongue” – an expression that had grabbed my attention yesterday in the context of theater director Peter Brook’s latest book (his Tip of the Tongue, translated in French as Du bout des lèvres instead of Sur le bout de la langue).
Robert Musil, then (my English translation): “…there was still something else on the tip of the tongue: a veiled reference to those mathematical problems that cannot bear a general solution but only individual ones instead, the combination of which allow for an approach to a general solution. He might have added that he considered the problem of human existence as belonging to this type. What we call an epoch (without knowing if we must understand by that centuries, millennia or the brief lapse of time separating the child from the grandfather), this vast and free river of circumstances would then become a kind of disorderly succession of insufficient and individually false solutions, from which an exact global solution could only emerge when humanity was able to consider them all.”
Something we can always dream about, while nibbling on the days, like a mouse on her crust of dry bread, then her apple core, then…
* The antithesis of the book you gobble down in a single bite.