Violence

Violence –

“C’est parce que nos expériences avec la politique se sont essentiellement déroulées dans le champ de la violence qu’il ne nous est que trop naturel de comprendre l’action politique sous les catégories de la contrainte et de l’être-contraint, de la domination et de l’être-dominé, car c’est dans ces catégories que se révèle le sens véritable de toute action violente. Nous avons tendance à considérer la paix – qui en tant que fin de la violence doit lui indiquer ses limites et circonscrire son processus d’anéantissement – comme quelque chose prend son origine à partir d’un domaine qui transcende le politique et qui doit maintenir la politique elle-même dans ses limites : de même que nous sommes enclins à accueillir les époques de paix qui s’intercalent entre les catastrophes, même à notre époque, comme les périodes quinquennales ou les décennies au cours desquelles la politique nous octroie un répit.” Hannah Arendt, La politique a-t-elle encore un sens?*

Malgré tout, je persiste à croire qu’il pourrait en être autrement. Il n’en demeure pas moins que la conclusion d’Arendt prend tout son sens dans le contexte actuel :

“Ranke a un jour forgé l’expression de primat de la politique étrangère et il se pourrait bien qu’il n’ait pas voulu dire autre chose si ce n’est que la sécurité des frontières et les relations internationales doivent être le premier souci de l’homme d’État, puisque la simple existence de l’État et de la nation en dépend. On est tout d’abord tenté de croire que seule la guerre froide nous a enseigné ce qu’il en est du primat de la politique étrangère. Si, en effet, le seul objet pertinent de la politique est devenu la politique étrangère, c’est-à-dire le danger qui guette toujours les relations internationales, cela ne signifie ni plus ni moins sinon que le mot de Clausewitz, la guerre n’est rien d’autre que la poursuite de la politique avec d’autres moyens, s’est inversé, de telle sorte que la politique est finalement devenue une poursuite de la guerre dans laquelle les moyens de la ruse se sont provisoirement introduits à la place des moyens de la violence. Et il est indéniable que les conditions de la course aux armements dans lesquelles nous vivons et devons vivre permettent à tout le moins de penser que le mot de Kant – rien ne devrait arriver pendant la guerre qui rende impossible une paix ultérieure – s’est lui aussi inversé, en sorte que nous vivons dans une paix au sein de laquelle rien ne doit être épargné pour qu’une guerre soit encore possible.”

Hannah Arendt écrivait ces lignes en 1959.

*Hannah Arendt, La politique a-t-elle encore un sens? L’Herne, Paris 2017

Violence

(I do not have access to Hannah Arendt’s original text. What follows is my translation from the French):

“It is because our experiences with politics have taken place in the field of violence essentially, that we find it only too natural to understand political action under the categories of constraint and of the constrained-one, of domination and the dominated, for it is within those categories that the true meaning of all violent action reveals itself.    We tend to consider peace – which as an end to violence must set its limits and circumscribe its process of annihilation – as something that takes its origin in a domain that transcends the political and that must maintain the political itself within limits : just as we are inclined to greet periods of peace interspersed between the catastrophes, even in our day, as five or ten-year periods during which politics leave us a respite.” Hannah Arendt

Despite everything, I persist in believing it could be otherwise.  Still, Arendt’s conclusion takes on its full meaning in the present context:

“Ranke one day forged the expression of the primacy of foreign affairs and he may well have meant nothing other than that the safety of frontiers and international relations must be the first concern of the Statesman, since the very existence of the State and
of the nation depend on them.     At first one is tempted to believe that only the cold war has taught us what the primacy of foreign affairs can mean. If, indeed, foreign affairs have become the only pertinent object of politics, which is to say the danger always hovering over international relations, this means nothing more nor less that that Clausewitz’ expression – war is nothing other than the pursuit of politics by other means –  has become inverted, so that politics has finally become a pursuit of war in which cunning is temporarily introduced to replace violence. And it is undeniable that the arms race in which we live and must live allowed at the very least to think that Kant’s words – that nothing should occur during a war that renders an ulterior peace impossible – have also become inverted, so that we live in a peace in which nothing must be spared so that a war may still be possible.”

Hannah Arendt wrote these lines in 1959.

 

 

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