Paix/Peace

Paix –

Hier matin, je me suis éveillée sur la pensée des immenses privilèges que confère la paix. Puis, j’ai appris l’annulation de l’exposition Zehra Dogan à Paris.

“Peace and Love”. Vous vous souvenez? Nous étions gosses alors, des gosses naïfs et privilégiés en plus, sans le savoir. Ça nous semblait si évident. L’imagination au pouvoir. Faire l’amour, pas la guerre.

Aujourd’hui, sur Facebook, je lis un hurlement de rage et de douleur sur le sort des hommes, des femmes et des enfants bombardés nuit et jour dans un silence international hallucinant. La douleur rend injuste. Elle peut rendre fou. Il y aurait beaucoup à en dire, mais pas aujourd’hui.

Alors moi, privilégiée dans un monde de privilégiés, je prend un livre sur mes étagères. Le livre s’intitule Le criquet de fer. Son auteur: Salim Barakat, né en 1951 à Qamishli, au nord de la Syrie, dans une famille kurde. Et je lis:

“Nous sommes des grands, cher enfant, des grands qui se distraient du cliquetis du fer devant la porte du temps et font couler l’acier qui se fige. Nous sommes grands. Nous ne livrons pas notre sort à l’hirondelle de passage ou à la joie, et nous ne nous drapons que dans les plis de la sagesse oppressive.”*

Les cinq épisodes que raconte Barakat des “aventures inachevées” de l’enfance s’intitulent: La violence ordinaire, Le fracas des horizons, L’incendie et la pêche, La chute de Brifa, La neige et les ruines.

À mon bagage de privilégiée ce matin, se rajoute une phrase d’Hannah Arendt, citée par Catherine Coquio à la toute dernière page de son livre Le Mal de vérité ou l’utopie de la mémoire: “croire aujourd’hui qu’il y ait encore une “monde”: ce monde dont Arendt disait que seuls les artistes y “croyaient” encore, oeuvrant à sa “persistance“.**

Je ne suis pas en Syrie. Ni dans la Ghouta ni au Rojava. Je ne suis pas au Yémen ni dans aucun autre des enfers que les humains creusent comme pour voir jusqu’où ils peuvent sombrer dans l’abject. Privilégiée parmi des privilégiés, ignorée par les décideurs parmi tous les autres ignorés, je ramasse des bribes de sens, partout où je les trouve,  au contact de ceux qui persistent à “persister”.

Je me résigne à la “paix des cimetières”, alors? Quelques fleurs sur les tombes, et tout est bon? Pas vraiment, non. Je constate surtout les limites de mes privilèges… et je “persiste” à m’en servir.

*Salim Barakat, Le criquet de fer, récit traduit de l’arabe (Syrie) par François Zabbal, Actes Sud 1993.

** La citation complète se lit: “Les seuls à croire encore au monde sont les artistes. La persistance de l’oeuvre d’art reflète le caractère persistant du monde”. Hannah Arndt, Qu’est-ce que la politique? Paris, Seuil, 1995, cité par Catherine Coquio dans Le mal de vérité ou l’utopie de la mémoire, Le temps des idées, Armand Colin, Malakoff, 2015

*

Peace –

Yesterday, I woke up on the thought of the immense privileges peace confers. Then, I learned of the cancellation of the Zehra Dogan exhibition in Paris.

“Peace and Love”. Remember? We were kids, naive and privileged ones at that, even if we didn’t know it. It seemed so obvious. All power to imagination. Making love, not war.

Today, on Facebook,  I read a howl of rage and pain over the fate of the men, women and children being bombed night and day amid a stupefying international silence. Pain makes you unfair. Pain can drive you mad. There would be much to say about it, but not today.

So I, privileged in a world of privileged ones, I take a book down from my shelves. The book is titled The Iron Cricket. Its author:   Salim Barakat, born in 1951 in Qamishli,  Northern Syria, in a Kurdish family. I read:

“We are grownups, dear child, grownups distracting themselves from the iron clicks in front of time’s door, and casting iron that hardens.  We are grownups. We do not hand over our fate to the passing swallow or to joy, and we drape ourselves in the pleats of oppressive wisdom.”  

The five episodes Barakat relates of the “unfinished adventures” of childhood are titled:   Ordinary violence, The clamor of the horizons, Fire and Fishing, The fall of Brifa, Snow and Ruins.  

To my luggage as a privileged one this morning, I add words by Hannah Arendt, quoted by Catherine Coquio on the very last page of her book   Le Mal de vérité ou l’utopie de la mémoire: “believing today that there is still a “world”: this world of which Arendt said only artists still “believed” in it, working on its “persistence”. **

I am not in Syria. Neither in the Ghouta nor in Rojava. I am not in Yemen, nor in any other of the hell holes humans dig open as if to see how low they can sink into abjection.  Privileged among the privileged, ignored by deciders among all the others they ignore, I gather bits of meaning, wherever I find them, at the contact of others who persist in “persisting”.

So, I’m resigned to the “peace of cemeteries”, then? A few flowers on the caskets, and all is well? No, not really. Mostly, I note the limits of my privileges… and”persist” in making use of them.

*Salim Barakat, Le criquet de fer, récit traduit de l’arabe (Syrie) par François Zabbal, Actes Sud 1993.

** Translated in English, the full quote reads: “Artists are the only ones who still believe in the world. The persistence of the work of art reflects the persistent character of the world.”   Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique? Paris, Seuil, 1995, quoted by Catherine Coquio in Le mal de vérité ou l’utopie de la mémoire, Le temps des idées, Armand Colin, Malakoff, 2015

Leave a comment