“Martyr”

“Martyr” –

J’ai horreur de ce mot. Depuis ma plus tendre enfance, lorsque les religieuses me vantaient “l’exploit” de Sainte Lucie, vierge et martyre, s’arrachant les yeux pour les donner au Romain, ce païen qui l’aimait? Horreur et fascination. Fascination et horreur.

Jeudi, c’était au tour d’Erdogan d’évoquer les “20 à 25 martyrs” du côté turc de la bataille qu’il a lancé contre Afrîn (et plus, évidemment,  si affinités, et si ses alliés lui en offrent l’opportunité).

L’autre jour, j’ai buté contre ce même mot en traduisant un texte dont je partageais pourtant toute l’indignation.

À l’origine, le mot martyr vient du grec et signifie “témoin“. Il nous faut combien de témoins morts avant d’écouter la parole des témoins vivants, plutôt que de se laisser bercer par les mensonges des sépulcres blanchis? Le plus incroyable, c’est que nous savons parfaitement bien qu’ils nous mentent? Alors? Ça nous amuse?

S’il y en avait suffisamment d’entre nous pour se lever et dire “assez de vos mensonges”, peut-être n’y aurait-il plus de terres absorbant le sang des hommes, des femmes et des enfants, et plus personne proclamant la grandeur de quelque divinité que ce soit après avoir tranché les seins d’une femme, ou gazé des enfants, ou torturé puis pendu des hommes, ou…

Quand notre fascination pour l’horreur pourra-t-elle se satisfaire d’horreurs imaginaires au lieu de remettre les vrais clés de véritables royaumes à des Barbe-Bleue? Même des petits enfants savent faire la différence entre “pour de vrai” et “pas pour de vrai”. Qu’est-ce que les adultes attendent pour en faire autant?

Je rêve, vous dites? Oui. Et alors? Vous préférez les cauchemars éveillés?

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“Il y a trois ans, si vous disiez ‘Dictateur’ vous alliez en prison. Maintenant, des médecins sont arrêtés pour avoir dit qu’ils sont contre la guerre [à Afrin]. Le silence n’est pas une protection. Si le silence augmente, même le chuchotement sera un crime. Dans un régime fasciste et totalitaire, vous ne pouvez être en sécurité par le silence que pour un court moment. La seule sécurité si elle existe, je pense que c’est essayer de dire la vérité”. Aslı Erdoğan

*

Et pour Zehra Dogan: 2 ans, 9 mois et 22 jours pour un témoignage consistant de la lettre et de la photo d’une petite fille de 10 ans, Elif Akboga, témoignant des destructions à Nusaybin,  plus un dessin, basé sur la photo publiée par les forces armées turques, illustrant ces mêmes destructions…

L’exposition de reproductions de ses oeuvres  s’ est terminée vendredi à Graulhet. Mais il y en aura d’autres, et non des moindres, à Paris notamment, en mars et en avril. Et si vous avez raté l’occasion d’acheter le livre Zehra Dogan, Les Yeux Grands Ouverts, il est toujours disponible sur Kedistan.  

 

Martyr –

I loathe this word. Since earliest childhood, when the nuns praised the “exploit” of Santa Lucia, virgin and martyr, tearing out her eyes to give them to the Roman, that pagan who loved her? Horror and fascination. Fascination and horror.

Last Thursday, it was Erdogan’s turn to evoke the “20 to 25 martyrs”  on the Turkish side of the battle he has launched against Afrîn, (and more, of course, if his allies give him half an opportunity to get away with it).

The other day, I stumbled against this same word while translating a text with which I share all of the author’s  indignation.

Initially, the word martyr comes from the Greek and means “witness”. How many dead witnesses do we need before we pay attention to the living ones, rather than letting whitewashed sepulchres cradle us with their lies?

If enough of us stood up and said “enough”, perhaps no one’s  land would absorb the blood of men, women and children, and no one would praise the greatness of any divinity whatsoever after slicing off a woman’s breasts or gassing children, or torturing then hanging men, or…When will our fascination with horror be satisfied with imaginary ones instead of handing over the real keys to real kingdoms to Bluebeards?  Even little children can tell the difference between “for real” and “not for real”. What are adults waiting for?

I’m a dreamer, you say? Yes, so? You prefer living nightmares?

*

“Three years ago, if you said the word “Dictator”, you went to jail. Now, medical doctors are arrested for saying they are against the war (in Afrîn). Silence is not a protection. If the silence grows, even a whisper will be a crime. In a fascist and totalitarian regime, you can only be safe in silence for a short moment. I think the only security, if it exists, is in trying to speak the truth.” Asli Erdoğan

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And for Zehra Dogan: 2 years, 9 months and  22 days in jail pour a testimony consisting of the letter and photo of a ten year-old girl, Elif Akboga, who witnessed the  destructions in Nusaybin,  plus a drawing, based on the photo published by the Turkish armed forces, illustrating these destructions…

The exhibition of reproductions of Zehra Dogan’s works  closed on Friday in  Graulhet. But there will be others,  notably – and not the least –  in Paris in March and April. If you missed the opportunity to buy the book  Zehra Dogan, Les Yeux Grands Ouverts, it is still available on  Kedistan.  

 

 

 

 

 

 

 

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