
Mais pourquoi… –
Évidemment, à deux jours de l’événement, mon attention est surtout sollicitée par la soirée Zehra Dogan qui aura lieu samedi le 20 janvier au cinéma Vertigo de Graulhet. (Documentaire Une autre montagne de Noémi Aubry et Anouck Mangeat à 17h, suivi du vernissage de l’exposition de 20 reproductions d’oeuvres de la journaliste et artistes kurde Zehra Dogan, qui purge en Turquie une peine de 2 ans, 9 mois et 22 jours pour le “crime” d’avoir pratiquer son métier.)
Ce qui n’empêche pas les réminiscences puissantes au vu de certains autres moments dans l’actualité. En Iran, par exemple.
Années ’70. Le shah n’était pas encore tombé. À Montréal, avec ma fille de 5 ans, je partage une chambre dans un collectif de jeunes étudiants iraniens inscrits à l’université McGill. “Gauchistes”, évidemment, et tous impatients de retourner chez eux “faire la révolution”. Ils y retournèrent. Khomeiny les attendait. Leur sort: l’emprisonnement, la torture, la mort.
Mais pourquoi, me demande un jeune, pourquoi se battre “pour rien”? Le “pour rien” en question trouvant sa définition dans le sens qu’on donne aux mots “bonheur” et “liberté”. Et justement, ce matin sur Facebook, Catherine Coquio (que je ne connais pas personnellement mais dont je suis avec intérêt les mises en ligne) faisait référence à un titre d’Étienne Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique.* Ni une ni deux, je suis allée visiter le site de l’éditeur où j’ai trouvé ce qui suit:
“Au cœur de la vie politique des hommes gît un trésor, aujourd’hui perdu. Les révolutionnaires du XVIIIe siècle pouvaient encore le nommer. En Amérique on l’appelait « bonheur public », dans la France des Lumières son nom était « liberté publique ». En certaines circonstances, rares et précaires, ce trésor sans âge resurgit dans l’action politique conduite à plusieurs, lorsqu’avec elle se crée un espace public où la liberté peut paraître. Alors un lien se noue, qui déploie entre les hommes un monde commun. Tel est le bien public.
En évoquant ce trésor perdu, la philosophie d’Hannah Arendt nous invite à retrouver, à l’écart de tout pragmatisme comme de tout moralisme, le sens instituant de l’action politique qui a le monde comme condition et comme fin. C’est dans la mesure où les actions sont politiques que le monde peut être partagé ; et dans la mesure où elles visent un monde commun que ces actions sont proprement politiques. Toute politique s’apprécie au regard du monde qu’elle est susceptible d’instaurer. N’est-ce pas pourtant à l’aliénation du monde que la politique moderne nous condamne au contraire ? Le trésor serait-il pour nous définitivement perdu ?
Ce livre suggère que, loin de proposer une philosophie politique parmi d’autres, la réflexion arendtienne inaugure une intelligence de l’action politique qui redonne sens au « vivre-ensemble »…”
Comment alors ne pas penser à l’expérience du confédéralisme démocratique au Rojava, à Notre-Dame des Landes et aux multiples autres endroits dans le monde où des hommes et des femmes s’emploient à redonner sens au “vivre-ensemble”?
Oui d’accord, me dit le jeune, mais est-ce que ça veut dire que je dois mourir? Pour des idées? Non, lui dis-je, ça, pour mourir, c’est garanti de toutes façons. Mais ça peut vouloir dire que tu mets de côté ta play station de temps en temps pour réfléchir à comment tu peux partager ton temps sur terre avec d’autres…autrement.
*Étienne Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, Klinscksieck éditeur, Paris.
*
But why…
Of course, two days prior to the event, my attention is mostly on the Zehra Dogan evening scheduled for Saturday, January 20 at cinéma Vertigo in Graulhet. (Documentary film Une autre montagne by Noémi Aubry and Anouck Mangeat at 17h, followed by the opening of an exhibition of 20 reproductions of works created by the Kurdish journalist and artist Zehra Dogan, presently serving a sentence of 2 years, 9 months and 22 days in Turkey for the “crime” of having done her job.
Which doesn’t keep powerful reminiscences from welling up at the sight of other moments in the news. In Iran, for instance.
The seventies. The shah hasn’t fallen yet. In Montreal, I share a room with my five year old daughter in a collective with young Iranian students from McGill University. “Leftists”, of course, all of them impatient de go home and “make the revolution”. They went home. Khomeiny was waiting for them. Their fate: prison, torture, death.
But why, a young one asks me, why fight “for nothing“? “For nothing” being defined by the meaning one ascribes to the words “happiness” and “liberty”. No later than this morning on Facebook, Catherine Coquio (whom I do not know personally but whose posts I follow with interest) referred to a title by Étienne Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique.* No sooner read than looked up on the publisher’s website where I found the following (this being a quick and dirty translation of the original):
“A lost treasure lies at the heart of man’s political life. The revolutionaries of the 18th century could still give it a name. In America, it was known as “public happiness”, in the France of the Enlightenment, it was called “public liberty”. In some rare and precarious circumstances, this ageless treasure resurfaces in political action led by several in concert, creating a public space in which liberty can appear. In those instances, the link is forged allowing for the deployment of a shared world among humans. This is the common good.
In evoking this lost treasure, Hannah Arendt’s philosophy invites us to recover, apart from all pragmatism as well as all moralism, the foundational sense of political action that takes the world as its condition and its finality. A shared world is possible insofar as actions are political. Every policy can be appreciated in light of the world it aims to establish. Yet, is it not to an alienation from the world that modern policies condemn us instead? This book suggests that, far from suggesting one political philosophy among others, Arend’s reflection inaugurates an intelligence of political action giving meaning again to “living together”.
How then not to think of the democratic confederalism experiment in Rojava, the settlement in Notre-Dame des Landes and the many other places in the world where men and women work at giving fresh meaning to the notion of “living together”?
Yes, but, says the youngster, does this mean I have to die? For ideas? No, I say, you’ll die one way or another. All it means is you may have to set your play station aside from time to time and give some thought to how you can share your timeline on earth with others… in other ways.
*Étienne Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, Klinscksieck éditeur, Paris.