
Crayon HB –
“J’ai appris assez tard, après le lycée, que pour faire des études d’art, il fallait participer à des concours d’entrée. Dans un pays où l’enseignement n’est pas donné correctement, où à tout occasion on te frappe au visage le fait que tu es “autre”, l’idée de faire des études universitaires, à Baglar, qui est l’espace refuge des victimes des exils forcés des années 90, me paraissait très loin. J’ai appris l’existence des concours bien tard. Je me suis inscrite, pour vivre cette émotion. Je suis allée à la salle d’examen, avec un crayon HB2 acheté dans une papeterie. Je n’oublierai jamais ces moments. Ils ont fait venir un modèle, ils l’ont fait asseoir, et ils nous ont dit : “Dessinez !”. Parmi des centaines de candidats qui s’étaient réunis dans cette salle, je me suis sentie infiniment seule.
Tout le monde avait dans sa trousse, des crayons dont je ne connaissais même pas les modèles. Ces candidats s’étaient perfectionnés en suivant des cours de dessin et de perspective et même la façon dont ils taillaient leurs crayons me paraissait artistique…J’ai voulu quitter la salle mais c’était trop tard, l’examen était commencé. Bien obligée, j’ai commencé à dessiner. Tout ce qu’ils ont demandé, je l’ai dessiné comme je pouvais. Mais je m’asseyais de façon à cacher mon papier avec mon corps pour que personne ne voit ce que je fabriquais. Je ne voulais pas non plus regarder leurs dessins et me démoraliser…Après l’examen, je suis sortie et je suis retournée au village, dans ma famille. Je n’ai même pas cherché à voir les résultats du concours. Un mois plus tard, j’ai appris par mes amis, que j’avais été admise.”
Zehra Dogan, Les yeux grands ouverts, journal d’une condamnation/chronique d’une exposition, éditions Fage, 2017, disponible sur le site de Kedistan.
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HB pencil
“I learned rather late, after high school, that in order to study visual arts, you had to take an admission exam. In a country where teaching isn’t done as it should be, where at every turn they smack you across the face with the fact you are “other”, the thought of doing university level studies in Baglar which is the refuge of the victims of forced exiles in the nineties truck me as remote. I heard about the exams very late. I registered, in order to experience that emotion. I went into the examination room with an HB2 pencil I had bought in a stationery. I will never forget those moments. They brought in a model, had her sit down and told us: “Draw!”. I felt infinitely alone among the hundreds of candidates in the room.
Everyone had a pencil case, with pencils models I had never seen before. These candidates had perfected their skills with courses in drawing and in perspective and even the way they sharpened their pencils struck me as artistic…I wanted to leave the room but it was too late, the exam had already begun. Everything they asked us to do, I drew as best I could. But I sat in such a way as to hide my paper with my body so that no one could see what I was up to. I didn’t want to look at their drawings either, so as not to get demoralized…After the exam, I left and went back to my family in the village. I didn’t even try to find out the results of the exam. One month later, I learned through my friends that I had been admitted.”
Zehra Dogan, Les yeux grands ouverts, journal d’une condamnation/chronique d’une exposition, éditions Fage, 2017, available on the Kedistan website (the text is in French but the works speak out in every language.)