Varia

Varia

“T’as d’beaux yeux, tu sais”

C’est un jour paperasses aujourd’hui.  Les riches ont des comptables pour ça, les grandes entreprises ont des comptables et des avocats, quant aux pauvres ils doivent faire des rapports circonstanciés sur l’état précis de leur pauvreté. D’une façon ou d’une autre, l’usine à paperasses carbure. Ça fait partie des charmes des “sociétés évoluées”: au lieu de tablettes d’argile comme dans l’Egypte ancienne, on doit fournir des rapports numérisés doublés de rapports papier. À moins de s’appeler Donald J. Trump, ou autre grandissime du même type qui peut se payer le luxe de refuser de dévoiler ses revenus ou encore, faire des déclarations bidon portant sur des millions ou des milliards de coquillages ou de dollars.  C’est comme ça.

Pour les pauvres, ça se joue plutôt comme ceci:

” L’âne vint à son tour et dit :

J’ai souvenance
Qu’en un pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue…”

Mais je ne vais pas vous refaire tout le récit. Vous le savez déjà que le loup, le lion et les autres puissants s’en tirent à bon compte et qu’au malheureux baudet, on ne passe rien.

*

Faites vos jeux…

Il y a les régimes autocratiques. Ceux dont on dit que leurs chefs gouvernent par la peur qu’ils inspirent. La peur y est certainement pour beaucoup, c’est évident, mais je crois qu’en elle-même, la peur ne suffit pas. Si les leaders autoritaires se maintiennent c’est aussi grâce à la caution qu’ils donnent à leurs subalternes d’agir de façon autoritaire  envers tous ceux désignés à leur vindicte. Pas un seul autocrate ne peut se maintenir sans le soutien des petits tyranneaux qui déploient leurs ailes avec sa bénédiction. Et comme un petit tyranneau sommeille en chacun de nous, les occasions ne manquent pas…

Mais il y a aussi les régimes de la pantoufle. Ah, la pantoufle.  Un monde tranquille, où les choses désagréables se passent dans un silence de bon aloi. Et comme les pantoufles sont bien confortables, quand même…

*

Interlude

Entre deux rendez-vous à caractère administratif, je croise une marionnettiste de mes amis qui m’offre le café. Nous causons théâtre de rue et langue des oiseaux. Dans la rue montante qui me ramène chez moi, un papillon d’une espèce inconnue, immobile sur le sol. Je me penche pour l’observer de plus près et je le touche doucement, le croyant mort. Pas du tout: il s’envole. Je l’ai dérangé alors qu’il se nourrissait d’une fleur tombée. Désolée.

*

En fait, ce que  je voulais dire…

Le ciel se couvre. Il va  pleuvoir. Je voulais parler d’autres choses, des maîtres à penser et de la découverte de ses propres voix/voies et opinions. Ça sera pour une autre fois.

Un souvenir quand même:  Dans les années cinquante et soixante à Montréal, pour les francophones, le choix se posait entre La Presse ou Le Devoir. Certes, en 1964, la grève à La Presse servit de prétexte à la naissance du Journal de Montréal, mais les tabloïds à sensation n’étaient pas bien vus chez les gens “bien”. Chez mes parents, Le Devoir constituait le journal de référence et ma mère n’émettait jamais une opinion avant d’avoir lu l’éditorial de Monsieur Ryan, son maître à penser à elle. Les anglophones avaient le choix entre The Gazette (journal du matin) et The Montreal Star (journal de l’après-midi). Pour ses nouvelles en anglais, ma mère préférait The Gazette, et mon père, The Montreal Star. Je ne sais pas pourquoi.

Et moi, chez ma grand-mère irlandaise, je  m’évadais dans les photos colorées à la main de mondes lointains dans des éditions anciennes du National Geographic; et chez la grand-mère “canadienne-française” (on ne se disait pas encore “québécois” à l’époque), je feuilletais un vieux livre dont la couverture en velours rouge avait déteint sur des reproductions d’oeuvres de peintres maintenant oubliés.

*

Varia

“You have beautiful eyes”

Today is a paper trail day. The rich have accountants for that, big societies have accountants and lawyers , as for the poor, they must submit detailed reports on the precise status of their poverty. One way or another, the paper trail business hums along.   It’s part of the charms of “advanced societies”: instead of clay tablets as in the days of ancient Egypt, we  now submit computer forms, doubled by paper ones. Unless your name is Donald J. Trump or another grandee of the same ilk who can afford the luxury of refusing to divulge their revenues, or submit phony returns concerning millions or billions of cowrie shells or dollars.  That’s how it goes.

For the poor, the game plays out like this:

” The donkey took his turn and said:

I recall
passing through a monk’s pasture,  
hunger, opportunity, tender grass, and methinks,  
some devil thus goading me,  
I mowed the breadth of my tongue from it…”  

But I won’t recite the whole fable. You already know that the wolf, the lion and the other powerful animals  will get away with murder while the lowly donkey will get away with zilch.

*

Place your bets…

There are autocratic regimes. Regimes of which it is said their leaders govern because of the fear they inspire. Fear is certainly an important component but I don’t think  it explains everything.  If authoritarian leaders stay in power it is also because they caution the behavior of their subordinates’ own authoritarian behavior with those  singled out for public condemnation.  Not a single autocrat could stay in power without the support of the mini-tyrants who spread their wings with his blessings. And as a mini-tyrant slumbers in all of us, opportunities abound…

There also exist comfy slipper regimes. Ah, the comfy slipper. A tranquil world in which unpleasant things happen under cover of a respectable silence. And since comfy slippers are really and truly comfy…

*

Interlude

Between two administrative-type meetings, I encounter a puppeteer friend of mine who offers me a coffee. We talk street theater and the language of birds. On the ground, on the sloping street that leads up to my home, I spot a butterfly of an unknown variety.   I bend down for a closer look, and touch it gently, thinking it is dead. Not at all: it flies away. I disturbed it while it fed on a fallen flower.

So sorry.

*

In fact, what I wanted to say…

The sky is clouding over. It’s going to rain. I wanted to talk about something else. I wanted to talk about intellectual guides and the discovery of one’s own voice/road and opinions.

A recollection, nonetheless:

Newspaper-wise in the fifties and sixties in Montreal, French-speakers had the choice between La Presse and Le Devoir. True, the 1964 strike at La Presse served as an opportunity for the birth of  Journal de Montreal, but sensationalistic tabloids were not well considered in respectable homes. Le Devoir was the reference newspaper at my parents’ home and my mother never expressed an opinion before reading the editorial by her intellectual guide, Monsieur Ryan. English-speakers had a choice between the morning The Gazette and the evening The Montreal Star. For her English news, my mother preferred The Gazette, and my father, The Montreal Star. I don’t know why.

And I, at my Irish grandmother’s, would escape into hand-colored photos of far-away worlds in old National Geographic magazines; and at my “French -Canadian” grandmother’s (we didn’t speak of being “Québécois” yet, in those days), I would leaf through an old book, the red velvet cover of which had stained reproductions of works by painters now long forgotten.

 

 

 

Leave a comment