Taïga –
Sauriez-vous expliquer le chemin qui mène d’un rêve en 1998 (dans lequel une vieille femme et son ourson se présentèrent à la rêveuse), suivie d’une exposition de photos de Claudine Doury en 1999. Exposition consacrée aux Peuples de Sibérie et découverte de façon parfaitement improbable, à bord d’un vol Montréal-Paris, annoncée en petits caractères qui me sautèrent au visage dans la revue de la compagnie aérienne que je ne consultais jamais. Les mots « Peuples de Sibérie » déclenchant alors une attirance irrésistible et un après-midi en état second dans la salle d’exposition au Parc de la Villette. Puis, au cours de ce même voyage, la lecture d’un article sur les pratiques chamaniques des Iakoutes pour qui le devoir de vivre se décrit ainsi : « Chantons et dansons/ Les monts s’amusent/les sommets chantent/les sources frayent. »
Puis (car le trajet n’est pas terminé !), deux ans plus tard, dans un camping sauvage de l’Etat de New York, pendant que j’écrivais le conte de la vieille femme reconnaissant son petit frère assassiné dans un ourson… la rencontre d’une ourse apprenant à son petit à soulever des pierres pour se nourrir de toute la vie qui fourmillait dessous. Elle huma ma présence sans y trouver le moindre intérêt (faut croire que mon odeur ne la mettait pas en appétit comme celle des insectes). Je sais que ça ne colle pas du tout aux terribles récits d’attaques foudroyantes par des ourses en furie, mais c’est comme ça. Je les ai observés depuis ma table de pique-nique, à une distance de quelque 7 mètres. Puis, l’ourse et son rejeton poursuivirent leur route et je continuai à écrire.
Alors, quand on me demande pourquoi j’écris ceci et pas cela, le mieux serait peut-être de répondre ce qui suit. Quelque part, Victor Hugo aurait dit : « Le rêve, ce sont les quelques pas quotidiens hors de nous. » Franchement, si vous savez déjà où ces pas vous mèneront, à quoi servirait-il d’écrire des histoires… ou de les lire ?
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Taïga
Would you know how to explain the road that leads from a dream in 1998 (in which an old woman and her bear cub introduced themselves to the dreamer), followed by an exhibition of Claudine Doury’s photos in 1999. Exhibition dedicated to the Peoples of Siberia and discovered in a perfectly improbable way, aboard a Montreal-Paris flight, listed in small print that popped up at me in an airline magazine I usually never bothered to look at. The words « Peoples of Siberia » triggering an irresistible pull and an afternoon in a state of suspension inside the exhibition hall at Parc de la Villette. Then, during the same trip, coming across an article on the shamanistic practices of the Iakut people who summarize the « duty of living » in these terms : « Let us dance and sing/ The mountains are playing/ The summits are singing/the sources are spawning ».
Then (for the journey is not over !), two years later, in a wilderness camping ground in the State of New York, while writing the old woman’s tale of recognizing her murdered little brother in a bear cub, a real life encounter with a she-bear teaching her little one how to lift up heavy stones to feed off the teeming life under them. She sniffed out my presence without showing any further interest in me (I guess I didn’t smell as appetizing as the bugs). I know this doesn’t follow the horrific scripts about those devastating attacks by frenzied bears, but that’s how it was. I observed them from my picnic table, some seven meters away. Then, the bear and her offspring continued on their way and I went on writing.
So, when I’m asked why I write this and not that, perhaps it would be best to answer what follows. Victor Hugo is reported to have said somewhere : « Dreaming consists of those few daily steps we take outside ourselves. » Honestly, if you already knew where those steps would lead, what would be the point in writing stories… or in reading them ?